Mayotte : Une poudrière sociale




Depuis le 27 septembre, Mayotte, quatrième île de l’archipel des Comores, est secouée par un mouvement social sans précédent tant par sa durée que par son intensité et sa détermination. Voici quelques clefs pour comprendre la situation mahoraise, véritable poudrière sociale...

Face au mouvement social qui secoue Mayotte, qui dure depuis plus de 45 jours et qui laissera des marques profondes dans le paysage mahorais, on peut se demander : comment en est-on arrivé là ? Y avait-il des signes précurseurs de cette contestation historique dans cette île encore sous la domination coloniale française ?

Des Prix 50 % plus élevés

Le 27 septembre dernier plusieurs organisations dont des syndicats lancent un appel à la grève générale illimitée afin de lutter contre la « vie chère ». Un mouvement qui n’est pas sans rappeler ceux qui ont secoués les Antilles et les autres Dom en 2009. Mais cette lutte va faire également écho à un mouvement né en décembre 2009 sur l’île, déjà contre la hausse du coût de la vie et qui s’était soldé par une sévère répression, laissant des traces indélébiles dans la population.

Cette contestation de 2011 est basée sur une volonté de faire baisser les prix de plus de 300 produits dits de première nécessité dont la viande, le riz ou encore les sardines. Finalement une liste de dix produits puis onze va être portée comme revendication du mouvement social. Un mouvement qui très vite va connaître un large succès.

En effet, sur cette île de l’océan Indien, les prix des denrées alimentaires et des autres produits en général sont exorbitants. Les prix sont en moyenne 50 % plus élevés que ceux pratiqués en métropole y compris pour les denrées de base. Une flambée des prix qui pourrait s’expliquer de plusieurs manières.

Le développement de l’île décidé par la France à partir du milieu des années 1990 va s’accompagner d’une politique drastique de fermeture des frontières. Le volet le plus dramatique reste sans nul doute la fermeture des frontières aux hommes...

Mais cette politique de fermeture va également concerner l’économie avec une réorientation vers le marché mondial et la globalisation capitaliste. Mayotte va ainsi quitter progressivement les circuits commerciaux locaux « traditionnels » pour entrer de plain-pied dans la mondialisation et la société de consommation, entraînant ainsi bouleversements alimentaires et sociétaux profonds.

Jusqu’ici Mayotte commerçait avec ses voisins au premier rang desquels les Comores et Madagascar. Mayotte importait alors viandes, poulets ou légumes, en complément des activités agricoles de types vivrières et de la pêche pratiquée localement. Au milieu des années 1990, la politique de développement de l’île décidée par la France va favoriser l’installation rapide de trois principales sociétés de distribution : BDM (Bourbon Distribution Mayotte), Sodifram et Somaco. Ces trois distributeurs vont petit à petit se partager le marché de Mayotte en pleine expansion. Mais au lieu d’installer la concurrence, ces distributeurs vont s’entendre sur les prix et donc les marges à pratiquer sur l’île.

Les protagonistes et les actionnaires de ces distributeurs ne sont pas non plus des anonymes à Mayotte, on retrouve ainsi dans les actionnaires de Sodifram nombre d’anciens mercenaires français adeptes des coups de force aux Comores et qui tentent notamment de recycler leur sinistres butins. L’actuelle présidente de la chambre de commerce et d’industrie de Mayotte, d’origine africaine, a réussi à s’imposer dans la distribution mahoraise et à profondément modifier les habitudes alimentaires en introduisant par exemple les ailes de poulet (en fait les parties les moins nobles et les moins chères, permettant ainsi de s’assurer de larges profits) qui vont devenir dans les premiers jours du mouvement social un emblème.

De la viande produite à 9000 kilomètres

Ces grands distributeurs, profitant de la fermeture des échanges économiques avec les Comores et Madagascar, fermeture motivée par d’obscures raisons sanitaires – sans nul doute plutôt d’ordre politiques et économiques –, vont raccrocher Mayotte au marché mondial. Cette volonté affichée d’un développement de Mayotte va ainsi transformer une économie majoritairement vivrière, basée sur les besoins fondamentaux, en une économie tournée à plus de 90 % vers les importations. Les activités vivrières vont très fortement décliner et souvent devenir l’apanage de la population d’origine « étrangère » en grande majorité sans papiers. Mayotte entre de plein pied dans la société de consommation. La viande consommée à Mayotte va désormais être importée d’Europe et d’Amérique Latine pour la majorité (notamment du Brésil).

Cette ouverture à une mondialisation s’opérant à l’inverse de la logique capitaliste va accroître de façon phénoménale le prix des denrées alimentaires, l’argument officiel étant l’éloignement de Mayotte avec les pays d’origine des importations. Ainsi, alors même que l’éloignement devient argument de baisse des prix en occident, le transport constituant une variable d’ajustement des prix vers le bas, Mayotte connaîtrait le phénomène inverse ? Étrange raisonnement lorsqu’on est directement responsable de ces choix économiques.

Rappelons qu’auparavant la viande était importée de Madagascar distante de seulement 300 km, avec un coût de production moindre que celui du Brésil, distant lui de plus de 9 000 km. Cette politique économique de dupes va permettre à la grande distribution implantée à Mayotte de s’assurer d’importantes marges et d’avoir une rentabilité exemplaire.

Oui mais voilà, les migrations de la population mahoraise à la Réunion ou en métropole vont finir par mettre à jour ces incohérences économiques et cette exploitation maladroitement déguisée, la diaspora mahoraise s’alarmant de plus en plus de cette situation d’inégalités avec les autres Dom et avec la métropole.

Une situation sociale explosive

La faiblesse du nombre d’actifs et les inégalités salariales sont également vecteurs du malaise mahorais. En effet l’île comptabilise à peine plus de 36 000 actifs pour une population supérieure à 200 000 habitants et près de la moitié de ces actifs seraient sans papiers. Le chômage atteint ici des niveaux record proches de 40 % de la population active. Le SMIG mahorais ne représente en 2011 que 80 % du SMIG français. Les assurances chômage et autre formes d’aides sociales sont absentes de l’île. Le RSA qui devrait théoriquement être mis en place à compter de mars 2012 ne devrait représenter que 25 % du RSA français soit moins de 100 euros par mois...

Ces inégalités criantes sont exacerbées par des inégalités salariales liées aux origines des travailleuses et des travailleurs. Parallèlement au développement économique de l’île, la population mahoraise va petit à petit se détourner des travaux dits « pénibles » les laissant ainsi aux populations « étrangères ». Les mahorais se tournent ainsi massivement vers les emplois de la fonction publique territoriale se développant en lien avec la mise en place du département à Mayotte et les mouvements de décentralisation entamés à partir des années 2000.

Le Conseil Général compte ainsi plus de 3 000 fonctionnaires territoriaux ! Même si ces nouveaux emplois mieux rémunérés vont se développer, ils n’arriveront pas à rattraper la flambée des prix que connaît l’île, ni les salaires mirobolants des métropolitains venus travailler à Mayotte.

Certains de ces « expatriés » sont parfois qualifiés de chasseurs de primes. Les salaires de ces colons-métropolitains sont bien largement supérieurs aux salaires locaux, en moyenne majorés de 25 % à 100 %, auxquels il convient d’ajouter pléthore d’avantages et privilèges financiers et en nature qui pleuvent sur les candidats à l’immigration vers cette colonie [1].

Même si ces inégalités peuvent prendre un caractère discriminatoire, car liées à des emplois souvent réservé aux métropolitains, il est important de rappeler que les orientations de développement économique ont aussi permis l’enrichissement rapide d’une bourgeoisie locale qui dispose de revenus tout aussi confortables voir supérieurs à ceux des expatriés métropolitains.

Le mouvement comme vecteur de solidarités

On le voit donc, les inégalités sociales et économiques à Mayotte ont sans aucun doute favorisé cette explosion sociale qui dure depuis plus de 45 jours au jour où nous bouclons et qui à ce jour ne s’est toujours pas achevée. Cette lutte, la plus importante de l’histoire mahoraise, met en avant un certain nombre de malaises de la société colonisée, et des rapports avec la métropole coloniale biaisés. Elle est aussi un apprentissage important pour la société mahoraise de l’organisation de la lutte.

Elle constitue également la première véritable contestation mahoraise à l’égard de la métropole coloniale, et un travail important de construction des solidarités entre les habitantes et les habitants de l’île. Des solidarités que les politiques racistes avaient en vain tenté d’annihiler. Espérons que ces graines plantées par le mouvement social puissent germer et faire naître une société émancipée, autodéterminée et maîtresse enfin de sa destinée...

Tibo, à Mayotte

[1À titre d’exemple, un professeur titulaire venu de métropole qui touchait dans cette dernière un salaire moyen de 2 500 euros, bénéficiera à Mayotte d’une prime de 24 000 euros pour un an et d’autres primes pour faire face au coût de la vie.

Il percevra donc en moyenne par mois à Mayotte un salaire de 5 000 euros si on comptabilise l’ensemble de ces primes auxquelles il convient d’ajouter les primes relatives au déménagement, de l’ordre de 6 000 euros, ainsi que d’autres avantages tels que les billets d’avions pour le fonctionnaire et sa famille pour venir, ou un billet aller – retour pour toute la famille par an...

 
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