Salariées du nettoyage : Un mois de grève dans un quatre étoiles




Les 35 salariées chargées du nettoyage du Novotel 4 étoiles situé près du Châtelet à Paris ont fait grève pendant plus d’un mois, du 6 octobre au 8 novembre. Ce mouvement témoigne de l’imposition de conditions de travail dérogatoires, sous couvert de sous-traitance, aux femmes de chambre.

À l’hôtel Novotel de Châtelet-Les Halles, trois équipiers, 28 femmes de chambre en majorité africaines, ainsi que quatre gouvernantes, sont salarié-e-s par la société de sous-traitance Sin et Stes. Les femmes de chambre (dont une partie travaille depuis plus de 20 ans dans ce même hôtel) étaient auparavant salariées de la société Arcade, où il y a eu un gros conflit en 2002-2003. La direction du groupe Accor avait alors accepté de signer une charte, dans laquelle elle s’engageait à rapprocher les conditions de travail des salariés de la sous-traitance de celles du personnel des hôtels [1]. Pour revaloriser l’image du groupe, la DRH avait même annoncé l’internalisation du ménage des chambres. Le protocole d’accord issu de cette grève n’a cependant pas été appliqué aux femmes de chambre qui travaillent dans ce Novotel, le marché ayant été repris par Sin et Stes en 2004, comme celui de beaucoup d’hôtels en région parisienne.

Le déclenchement de la grève

Le conflit a commencé à l’occasion de la préparation des élections pour le renouvellement des délégués du personnel. Les salariés de Sin et Stes avaient accumulé de nombreuses revendications non satisfaites, et souhaitaient l’ouverture de négociations. La direction du Novotel leur a fait croire que la société Sin et Stes allait, de toute façon, perdre ce marché fin 2011, une manœuvre pour empêcher le déroulement normal des élections. À partir du 6 octobre, les salariées ont occupé pendant toute la journée le hall de l’hôtel, en faisant énormément de bruit à l’aide de tam-tams et de casseroles…

La direction de l’hôtel a proféré des menaces et des insultes à l’encontre des grévistes. Pendant toute la durée du conflit, des rassemblements de soutien ont été organisés devant le Novotel, deux à trois fois par semaine. Le soutien à la grève a été organisé par l’Union syndicale CGT commerce et services de Paris, et par des syndicalistes de Sud-Rail, Sud-nettoyage et de la CNT-nettoyage. Pendant un mois, aucune négociation sérieuse n’a pu avoir lieu, la direction du Novotel ayant seulement proposé aux salariés d’augmenter leur prime annuelle tout d’abord de 50, puis de 100 euros. Un comité de soutien très actif a organisé plusieurs distributions de tracts, et même des pique-niques à l’intérieur de halls d’autres hôtels de la chaîne Accor.

La direction du Novotel a alors assigné en justice les grévistes pour demander leur expulsion de l’hôtel. Ils sont passés au TGI de Paris en référé le 25 octobre, mais le juge a exigé que la direction de l’hôtel et la société Sin et Stes acceptent d’engager de véritables négociations, avec la présence d’un médiateur. Le juge a finalement rendu sa décision d’expulser les grévistes le 8 novembre, et un accord de fin de conflit a pu être trouvé ce jour-là.

Les conditions de travail

Il y a trois ans, l’hôtel a subi des aménagements pour être devenir un quatre étoiles. Il affiche toujours complet, même si le tarif des chambres est très élevé (de 180 à 600 euros), alors qu’une femme de chambre gagne trois euros pour le ménage d’une chambre. Les femmes de chambre sont payées en fonction du nombre de chambres qu’elles ont nettoyées chaque mois (compte tenu de cadences fixées dans leur contrat), ce qui leur fait un salaire d’au maximum 1 000 euros nets. La plupart des salariées ont des contrats de trois ou six heures par jour (soit 65 heures à 130 heures mensuelles), et sont censées nettoyer pendant ce temps-là entre 15 et 18 chambres. Huit femmes ont des contrats en CDD, alors qu’elles font depuis plusieurs années le ménage dans cet hôtel. Les horaires sont en principe de 8h30 à 14h30, mais les femmes finissent en réalité entre 16h et 19h. Les cadences imposées aux femmes de chambre sont en effet de 2,5 à 3 chambres par heure, cependant, cela ne correspond pas aux normes d’un hôtel de luxe, où le ménage d’une chambre nécessite en moyenne 40 minutes, et souvent une heure.

Délit de marchandage et travail dissimulé

La CGT-HPE (hôtels de prestige et économiques) a déposé 43 dossiers de plainte aux Prud’hommes pour délit de marchandage, travail dissimulé, non-paiement d’heures complémentaires ou supplémentaires.
Le délit de marchandage existe lorsqu’une opération de fourniture de main-d’œuvre a pour effet de léser les salariés, d’éluder l’application de dispositions légales, de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif [2]. Or ici, c’est le cas, puisque le travail des femmes de chambre est au cœur des métiers de l’hôtellerie et non une tâche annexe, et puisque, par exemple, les salariés du Novotel sont payés sur 18 mois, alors que ceux de la société de nettoyage n’ont même pas de 13e mois, d’où une perte de revenu importante. Le travail dissimulé renvoie à la définition des cadences, purement théoriques, alors que les salariées sont en réalité payées « à la tâche ».

Donc plusieurs heures de travail, indispensables au nettoyage des chambres, sont non déclarées et non payées chaque jour. De plus, les contrats de travail à temps partiel sont souvent illicites, car ils ne précisent pas, alors que c’est indispensable, les jours et les heures de travail. Le recours aux CDD est abusif, car les salariées en fin de contrat sont obligées à rester chez elles pendant deux mois avant d’obtenir un nouveau CDD.

Les résultats de la grève

Les salarié-e-s ont repris le travail le 9 novembre, après 34 jours de grève. L’accord de fin de conflit avec la direction du Novotel n’a pas donné satisfaction à toutes les revendications des grévistes, qui ont néanmoins obtenu le passage de cinq CDD en CDI sans aucune mutation, le passage de la prime annuelle de 300 à 500 euros (pour celles qui ont un contrat d’au moins 130 heures et au prorata des heures inscrites dans le contrat pour les autres), ainsi qu’une augmentation de 130h à 151h du volume horaire des contrats pour sept salariées.

Les augmentations de salaire et le paiement des jours de grève n’ont pas été obtenus. Le flou persiste au sujet du paiement des heures de travail réellement effectuées : le principe du « paiement à la tâche » demeure. Le collectif de travail reste très soudé, mais il lui faudra rester vigilant afin qu’aucune sanction ne soit appliquée à l’encontre des ex-grévistes.

Le système de la sous-traitance n’autorise aucune amélioration des conditions de travail, puisqu’il conduit les sociétés qui veulent accaparer un marché à proposer de faire faire le travail à un coût sans cesse plus bas, avec toujours moins de personnel. Au fur et à mesure de conflits à répétition, étant donné l’impossibilité pour les salarié-e-s de sous-traitants d’obtenir satisfaction, la revendication d’une intégration dans le personnel de l’hôtel (ou du moins de l’application de la convention et des accords collectifs du donneur d’ordre) a émergé en filigrane.

C’est, en réalité, une revendication essentielle, de plus en plus souvent affirmée par les délégués syndicaux, car elle conditionne la satisfaction des autres revendications.

Odile Merckling

[1Odile Merckling, Femmes de l’immigration dans le travail précaire, 2011, L’Harmattan, 300 pages.

[2Article L. 8231-1 du Code du travail

 
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