Politique

Discriminations racistes et contre-révolution coloniale, un sursaut indispensable




Depuis la loi dite « séparatisme », les mouvements autonomes de l’antiracisme politique ont connu un affaiblissent significatif, comme leur relative absence de la mobilisation contre la réforme des retraites en témoigne. Les années qui viennent exigent pour autant de passer à l’offensive dans la dénonciation du racisme systémique et des discriminations. 

Les propos de Pascal Praud du 22 mars 2023 demandant « où sont les français issus de l’immigration  ? » (dans les manifs retraites) ont reçu un lot de réponses de ces derniers via des pancartes en manif ou par une série de communications d’acteurs de contenus numériques. En premier lieu pour rappeler leur présence et notamment dans une série de secteurs à la pointe de la lutte, tout particulièrement les cheminotes ou les éboueurs et éboueuses, ou encore parmi les étudiantes et lycéennes. Mais si les travailleurs et travailleuses issues de l’immigration sont bien dans la lutte et que les propos de Pascal Praud participent de leur invisibilisation de l’histoire sociale du pays (comme les travailleurs et travailleuses immigrées ont été invisibilisées de mai 68). De même si la précarité et la survie quotidienne expliquent l’absence de certaines couches des quartiers populaires de ce type de mobilisations (qui dit grève dit perte de salaire), la relative absence des organisations de l’antiracisme politique, susceptibles de porter des revendications plus spécifiques, doit interroger.

Les populations issues de la colonisation seront en effet tout particulièrement touchées par la réforme du fait que les discriminations soumettent à la précarité, les cantonnant à des emplois salariés moins bien payés, plus pénibles, plus précaires, ainsi qu’à des carrières hachées avec des périodes plus importantes de chômage. À cela s’ajoute la loi Darmanin, actuellement suspendue, qui a néanmoins fait l’objet d’une mobilisation spécifique depuis janvier, culminant avec la manifestation du 23 mars qui a réuni 10 000 personnes dans les rues de Paris, et dont l’opposition s’est ajoutée aux revendications de la jeunesse mobilisée.

Retour sur dix ans de renouveau antiraciste

Mais les mouvements antiracistes ne sont pas actuellement en mesure de constituer un front large dans le mouvement social, en dépit des effets de la réforme sur les plus précaires où les personnes racisées sont sur-représentées – permettant de mobiliser et porter des revendications spécifiques. Pour quelle raisons  ?

Photo prise lors de la manifestation de juin 2020 demandant la Vérité et la Justice pour Adama
Jeanne Menjoulet

La décennie passée a pourtant vu la montée de l’antiracisme politique, les luttes et mobilisations ont été nombreuses localement comme nationalement, radicales, et ont bousculé la gauche et tout le champ politique, comme en témoigne le succès de la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019. Les luttes des sans-papiers ont été nombreuses (grèves et marches) et les luttes syndicales comme celle des femmes de chambre d’Ibis Batignolles sont des mobilisations faisant sortir de l’invisibilité et ayant obtenu des victoires importantes. Les combats des comités Vérité et Justice comme le comité Adama, d’UNPA (Urgence Notre Police Assassine), ont imposé la question des violences policières dans le débat avant que la répression des Gilets jaunes ne la rende incontournable. Tout ceci a provoqué un vent de panique dans toutes les couches du pouvoir politique (État, partis, relais médiatiques...) qui se sont aplatis devant les syndicats de police, conduisant à une radicalisation de la bourgeoisie comme l’a démontrée la candidature de Zemmour appuyée par Bolloré.

Les réactions n’ont pas tardé : tribune de menace de coup ­d’État, campagne idéologique contre les « islamo-gauchistes », croisade anti-wokisme, mais surtout... la « Loi séparatisme »  ! Les conséquences n’ont pas encore été tirées de cette loi, ainsi que de la dissolution du CCIF auquel s’est succédée une série d’autres tentatives de dissolutions ces dernières années.

Mais la faiblesse que les mouvements de l’antiracisme politique connaissent aujourd’hui s’explique aussi par d’autres raisons. En interne, une série de division qui font que certains acteurs ne se parlent plus, replis sur des activités de production intellectuelle et numérique exclusivement, ou encore stratégie d’alliance avec des mouvements politiques. Un certain nombre d’organisations continuent leur activité en ne souhaitant pas se faire imposer un agenda, c’est le cas du FUIQP (Front Uni des immigrations et des quartiers populaires) présent dans plusieurs villes. Les acteurs sont donc toujours là, tous actifs et actives, mais un peu tous et toutes dans leur coin, désunies et menacées d’une forte répression. 

Faible mobilisation contre la loi séparatisme

Certaines ont put voir comme un aboutissement de leurs luttes la campagne présidentielle de LFI, où la question des violences policières fut amenée, la suppressions des BAC (Brigade anti-criminalité) et de la loi Séparatisme proposées, l’islamophobie dénoncée, et c’est en effet une victoire du rapport de force quand on sait d’où revient le mélenchonisme. Le revers de cela est un affaiblissement des contre-pouvoirs de la base qu’il faudrait au contraire pérenniser et renforcer : l’établissement de rapports de force à la base et via les luttes, ainsi que leur autonomie vis-à-vis des partis politiques reste un impératif.

Enfin, la faiblesse actuelle s’explique par la faible mobilisation des organisations syndicales, de gauche et de défenses des libertés contre la loi Séparatisme il y a deux ans, laissant les organisations antiracistes quasiment seules à mener la lutte. Un abandon qui laisse des traces et des rancœurs, d’où la difficulté de toute convergence avec le champs syndical. Le travail démarré depuis 2015 au sein de différentes campagnes comme « Reprenons ­l’initiative » ou le Réseau syndical antiraciste ne s’est pas prolongé. Il s’agit urgemment de le reprendre et d’imposer la question du racisme systémique et des luttes contre les discriminations dans les syndicats. Par exemple, la prise en compte de la dimension sexiste de la réforme des retraites est une victoire, à quand la prise en compte par les syndicats de sa dimension raciste, et plus généralement des rapport inégalitaires et discriminatoires à la retraite  ? Les années qui viennent avec une extrême droite qui monte et un racisme d’État et policier qui se radicalise exigent en urgence un sursaut collectif, offensif et unitaire.

Nicolas Pasadena (UCL Montreuil)

 
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