Pleins feux

Contre la guerre : Irak 2003-Ukraine 2022 , d’une invasion à l’autre




Si, en Occident, le mouvement social a unanimement dénoncé l’invasion de l’Irak par les États-Unis il y a vingt ans, on l’a senti plus timoré quant à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les deux situations sont pourtant largement analogues.

En mars 2003, les États-Unis envahissaient l’Irak avec des prétextes grossiers, sous l’opprobre mondial. En février 2022, en envahissant l’Ukraine, la Russie s’est placée dans une position analogue. Ces deux guerres d’agression impérialistes présentent plus de similitudes que de différences, qui peuvent aussi faire réfléchir sur les possibilités politiques ouvertes par la situation actuelle.

Les similitudes

  • La disproportion des forces.
    Une superpuissance nucléaire, à la pointe de la technologie militaire, envahit un pays de moyenne puissance.
  • Les mensonges d’État.
    L’envahisseur se prétend menacé par des armes de destruction massive. On se souvient des affabulations de 2003 sur les laboratoires irakiens d’armes bactériologiques – relayés à l’époque par le sénateur Joe Biden. En 2022, ne reculant pas devant les plus grosses ficelles, le Kremlin accuse de même Kiev d’avoir cultivé « la peste, l’anthrax, la tularémie, le choléra et d’autres maladies mortelles » dans 30 laboratoires secrets « financés par les États-Unis » [1].
  • Le prétexte du dictateur sanguinaire.
    En 2003, l’alibi vertueux était qu’il fallait débarrasser l’Irak de Saddam Hussein qui avait massacré, par dizaines de milliers, ses opposants politiques, les chiites et les Kurdes révoltés. En 2022, Moscou accuse de même Kiev d’un « géno­cide » au Donbass – ce qui pour le coup est faux. Les victimes du Donbass ne relèvent pas d’une extermination intentionnelle et sont réparties de façon équivalente chez les belligérants  [2].
  • L’objectif de regime change.
    En 2003, George W. Bush prétendait renverser Saddam Hussein pour « offrir » aux Irakiennes et Irakiens ce qu’ils ne pouvaient que souhaiter  : un Irak libéral et démocrate pro-occidental. Il a en fait provoqué de vastes destructions, des centaines de milliers de morts, une guerre civile, l’écroulement de l’économie, un boom du djihadisme. En 2022, Poutine veut, de même, renverser le « néonazi » et « toxicomane » Volodymyr Zelensky pour rendre l’Ukraine à sa « russité » profonde, coiffée par un régime autoritaire pro-Moscou, sur le modèle de la Biélorussie. Il n’aboutira qu’à des ravages sanguinaires.
  • L’arrogance triomphaliste.
    En 2003, les États-Unis étaient persuadés d’être accueillis avec des fleurs. Certes ce fut brièvement le cas, par une partie de la population irakienne, avant qu’elle déchante devant les conséquences de l’occupation. En 2022, Poutine, mal informé – plusieurs responsables du renseignement ont ensuite été limogés – a cru de même à une cavalcade triomphale de ses blindés à travers l’Ukraine. Raté. Ses seuls supporters se trouvaient au Donbass et en Crimée… déjà occupés depuis 2014. Son agression a eu l’effet inverse, en unissant contre lui la population ukrainienne comme jamais.
  • Une résistance populaire prolongée.
    De même que l’Irak occupé vit naître une résistance civile, mais surtout armée, l’Ukraine envahie est d’ores et déjà le théâtre d’une résistance multiforme. Après les manifestations pacifiques dans les villes occupées, viendront les maquis, favorisés par la dissémination d’armement léger (AK 47, lance-roquettes Javelin ou Stinger…).
  • Une domination de l’extrême droite dans la résistance.
    En Irak, la résistance a été politiquement plurielle, avant que l’extrême droite baasiste puis djiha­diste en élimine les éléments de gauche. Un risque analogue pèse en Ukraine, où les groupes nationalistes et néonazis sont puissants. Ils ont déjà éliminé les groupes de gauche en 2014, pendant le soulèvement de Maïdan, et ils recommenceront volontiers, sûrs de leur impunité. Les communicants US réduisaient systématiquement la résistance irakienne à sa composante d’extrême droite ; les trolls du Kremlin font de même avec la résistance ukrainienne. Dans les deux cas, il faut pourtant souligner que l’occupation a une responsabilité directe dans le développement de cette extrême droite…

Tout le dossier sur l’Ukraine


Prétexte à son agression militaire, Moscou a inventé un « génocide » qui serait commis par Kiev au Donbass. Or, si la guerre dans cette région a fait plus de 13000 morts de part et d’autre depuis 2014, il n’y a nulle trace d’entreprise exterminatrice. Ici, destructions dans la ville de Marïnka sur la ligne de front, dans le Donbass, juin 2015.
Photo : Vitalii Stechyshyn

Des différences

  • Les convoitises énergétiques.
    En 2003, Washington pouvait espérer, en occupant l’Irak, s’assurer le contrôle de 10 % des réserves mondiales de pétrole. A contrario, en 2022, cette question apparaît comme très secondaire pour Moscou puisqu’en annexant la Crimée en 2014, les hydrocarbures de la mer Noire étaient déjà, pour l’essentiel, passés sous contrôle russe. Le mobile politique de l’invasion est primordial.
  • Les sanctions économiques.
    En 2022, les pays occidentaux cherchent à entraver la Russie en ­l’attaquant au porte-monnaie. En 2003, personne n’avait rien tenté pour entraver les États-Unis, alors superpuissance unique et hégémonique.
  • L’impossible altérité raciste.
    Le racisme anti-arabe et antimusulman a facilité les mal­traitances de la population irakienne par la soldatesque états-unienne – qu’on se souvienne des tortures à la prison d’Abou Ghraib en 2004. Mais Poutine a tant répété qu’Ukrainiens et Russes étaient « frères », voire « un même peuple » qu’il est beaucoup plus ardu pour les troupes d’occupation de déshumaniser leur adversaire, et cela sape leur combativité.
  • Le traitement politique et médiatique.
    En 2003, la gauche occidentale avait massivement manifesté contre l’invasion de l’Irak. En 2022, sa protestation contre l’invasion de l’Ukraine a été plus timide, comme entravée par la crainte de « faire le jeu de l’Otan ». Cette façon de faire prévaloir les calculs géopoliticiens sur la solidarité est calamiteuse. Les gauches des pays de l’Est, excédées, appellent cela le westplaining. Il con­duit à abandonner aux libéraux atlantistes – du genre BHL ou Glucksman – le bénéfice moral de la dénonciation de la guerre et des bombardements. Quant aux grands médias occidentaux, s’ils avaient souligné, à raison, la présence de l’extrême droite dans la résistance irakienne... ils ont tort de minimiser sa réalité en Ukraine.
Photo : Oleksandr Klymenko

Les possibles

  • Le soutien à la composante progressiste de la résistance.
    En 2003-2005, Alternative libertaire avait relayé, en France, la résistance civile incarnée par le Parti communiste-ouvrier d’Irak (conseilliste), l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak (OLFI) et l’Union des chômeurs d’Irak. En 2022, il y a des composantes de gauche et d’extrême gauche dans la résistance à l’occupation russe. Il est nécessaire de les identifier et de les soutenir.
  • La montée d’un mouvement antiguerre.
    La guerre d’Irak était devenue le boulet de l’impérialisme US, avec des répercussions économiques planétaires et, aux États-Unis même, la naissance d’un fort mouvement pacifiste, qu’il soit anti-impérialiste ou platement isolationniste. La guerre d’Ukraine est, d’ores et déjà, le boulet de Poutine. Malgré les efforts des médias officiels pour maintenir la population dans l’ignorance des événements, la vigueur de la protestation pacifiste en Russie a surpris. Elle s’enrichira bientôt de déserteurs et de ces groupes de « mères de soldats » si actifs contre les guerres d’Afghanistan, puis de Tchétchénie. Le mouvement antiguerre existe, il faut espérer non seulement que la répression échouera à l’étouffer, mais qu’il fasse vaciller le maître du Kremlin.

Guillaume Davranche (UCL Montreuil)

[1Sputniknews.com, 9 mars 2022

[2Selon un rapport de l’Onu de février 2020, sur les 13 100 morts recensés dans le conflit au Donbass
depuis 2014, 31 % appartenaient aux forces ukrainiennes, 43 % aux forces russes et pro-russes, 25 % étaient des civils de part et d’autre du front

 
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