Antipatriarcat

Magali Della Sudda : « Une union des droites contre les politiques d’égalité de genre »




Magali Della Sudda est historienne et politiste, elle est chargée de recherche au CNRS au Centre Émile Durkheim à Bordeaux. Dans son livre Les Nouvelles femmes de droite (Éditions Hors d’atteinte, 2022), elle analyse l’émergence, à partir de 2013, des groupes de militantes d’extrême droite qui vont fortement renouveler le militantisme féminin réactionnaire et construire les bases de ce que l’on nomme aujourd’hui le fémonationalisme.

AL : Quels sont les principaux groupes sur lesquels tu as travaillé et comment se situent-ils les uns par rapport aux autres ?

Magali Della Sudda : Les Caryatides sont la section féminine de l’Œuvre française, nationaliste. Le Front national se dote du Cercle Fraternité, animé par Agnès Marion, en 2016 pour préparer la présidentielle de 2017. Les militantes identitaires de Belles et Rebelles sont alors actives sur Internet et Facebook : elles s’adressent aux femmes « féminines mais pas féministes » en diffusant sur un mode badin leurs idées politiques. Le Collectif Némésis leur succède en 2019, qui se veut « féministe identitaire et anticonformiste », surfant sur la vague #MeToo. Les Antigones sont un creuset de la « féminité » de droite contre les Femen fondé en 2013. Enfin, la revue catholique Limite et la philosophe Mariane Durano proposent un « féminisme intégral », catholique, qui reprend une partie de la critique éco-féministe radicale mais s’oppose à l’IVG, à la PMA et récuse le libéralisme.

Créées en 2013 en réponse aux Femen, les Antigones se sont voulues un creuset de la « féminité » de droite.

AL : Dans l’histoire contemporaine de ces mouvements que tu proposes on voit que 2013 constitue un tournant. Peux-tu nous expliquer quelles nouvelles sociabilités militantes émergent à cette occasion et comment elles ont évolué depuis ?

Magali Della Sudda : La Manif pour tous a ravivé le projet d’union des droites autour d’une opposition commune aux politiques d’égalité de genre – entre les femmes et les hommes, entre les genres et les sexualités. Qui mieux que des femmes pour porter ce projet  ? Marine Le Pen vient de prendre la tête du Front national, elle veut conquérir l’électorat féminin et normaliser son parti en affichant un discours « pro-femme ». Dans les droites radicales, les Identitaires cherchent à devenir respectables. Ils n’ont pu présenter de candidat en 2012, mais feront des alliances pour les municipales de 2014 avec le FN. Avoir des militantes leur permet ainsi de rentrer dans le jeu politique institutionnel. Parallèlement, hors des partis et en non-mixité, les Antigones puis le Collectif Némésis récusent la légitimité des féministes à porter la cause des femmes.

AL : On a dans ces groupes des antiféministes mais aussi, et c’est plus nouveau, des militantes qui se définissent comme féministes et nationalistes. Peux-tu nous expliquer comme ces militantes se sont emparées de cette dénomination ?

Magali Della Sudda : #MeToo a été un moment de réactivation des féminismes contre les violences sexuelles et sexistes. Enfin, la parole des femmes a été audible dans l’espace public. Cela a touché aussi des femmes de droite qui partagent un certain nombre de valeurs égalitaires et se sont approprié des enjeux consensuels du féminisme comme la dénonciation de ces violences. Mais contrairement aux féminismes émancipateurs qui soulignent le rôle du patriarcat ou de la domination masculine, le « féminisme identitaire » ou « féminisme occidentaliste » désigne l’immigration non-occidentale ou l’islam comme ennemi principal. Certains militants de droite radicale et nationaliste saluent cette démarche, qui leur permet de se débarrasser d’une image d’entre soi masculin, violent et peut gagner des militantes à leur cause.

La rhétorique réactionnaire qui consiste à s’approprier le discours libéral pour mieux en saper le contenu alimente une confusion. La porte parole de la Marche pour la Vie, coalition anti-IVG, peut porter un t-shirt avec « Mon corps, mon choix » contre l’IVG ou contre la PMA. Cela peut trouver un écho comme en témoigne par exemple le succès médiatique de certains intellectuels dits de gauche et se considérant féministes, qui fustigent les « néo-féministes » radicales, queer, trans, qui mettraient à mal les hommes et les femmes. Or cette acception du terme a été forgé dans la presse conservatrice et par certaines nouvelles femmes de droite.

AL : Ces groupes sont très restreints numériquement parlant et les portraits de militantes que tu décris montrent des jeunes femmes qui ont baigné dans un milieu souvent catholique traditionaliste ou nationaliste. Ces stratégies n’ont-elles aucun impact hors des cercles d’extrême droite  ?

Magali Della Sudda : Ces groupes croient que les idées sont déterminantes pour transformer le monde. Cette conception métapolitique guide leur stratégie dans une bataille culturelle. On a vu apparaître de nombreux media visant à reconquérir des segments de l’électorat, dont les femmes, dans le sillage de la Manif pour tous. Les militantes sont pour certaines des virtuoses du clavier et atteignent grâce à leurs réseaux une audience plus large que l’extrême-droite.

Le Collectif Némésis se veut « féministe identitaire et anticonformiste », surfant sur la vague #MeToo.

AL : Certaines de ces militantes revendiquent l’action militante de terrain, spectaculaire voire physique, on est loin des militantes pour un éternel féminin. Comment cela s’accorde-t-il avec l’image de la Femme naturalisée construite par l’imaginaire d’extrême droite ?

Magali Della Sudda : Les militantes de l’éternel féminin ont toujours soulevé un paradoxe : sortir de la passivité et du foyer pour stabiliser la division genrée. Elles promouvaient la féminité domestique pour le plus grand nombre tout en faisant l’éloge de femmes viriles telles Jeanne d’Arc. Les nouvelles femmes de droite assument être mère, épouse ou compagne, avoir un métier. Chez les identitaires en particulier, on valorise l’engagement physique et spectaculaire. Cela a valu à Thaïs d’Escufon d’être porte parole de Génération identitaire de 2020 à sa dissolution. Les militantes diffèrent de leurs aînées. Et pour certaines reconvertissent avec efficacité leurs savoir-faire pour vivre de leur militantisme spectaculaire et de clavier.

Pour autant, dans les organisations de droite radicale comme dans leurs interventions, les femmes demeurent à des places spécifiques, moins prestigieuses et décisives que celles des hommes.

Propos recueillis par David (UCL GPS)

 
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