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Trajectoires vers l’immunité de groupe : confinement vs laisser-faire




En ne confinant pas la population, on peut atteindre l’immunité de groupe assez rapidement, mais au prix d’une hécatombe. En confinant la population, on freine la propagation de l’épidémie, laissant le temps au système hospitalier de s’adapter, et permettant de mener une campagne de dépistage massif... à condition d’en avoir les moyens matériels (masques, kits de test). L’État français, après avoir saboté pendant des années le service public de santé, a oscillé entre les deux stratégies avant de se résoudre au confinement.

Si la stratégie dite de « confinement total » est aujourd’hui plutôt bien acceptée en France, plusieurs États y sont encore réfractaires. En Europe, la Suisse et l’Allemagne, par exemple, sont encore en « confinement partiel ». La Suède, elle, est carrément toujours non confinée, malgré plus de 400 décès dus au Covid-19 (chiffres du 5 avril). Hors d’Europe, Trump et Bolsonaro continuent de minimiser la pandémie en cours et refusent d’ordonner le confinement, au nom de la sauvegarde de l’économie.

Dans plusieurs pays d’Afrique, le confinement n’est pas non plus d’actualité, au nom cette fois-ci de la place prépondérante de l’« économie informelle » et des famines que le confinement pourrait déclencher. Afin de mieux comprendre les différents enjeux, retour sur les débats de la mi-mars, lorsque l’État français s’est illustré par ses hésitations à lancer le confinement.

La tentation de départ : l’immunité de groupe par le laisser-faire, sans prononcer les mots

Macron déclarait jeudi 12 mars : « C’est pourquoi je demande ce soir à toutes les personnes âgées de plus de 70 ans, à celles et ceux qui souffrent de maladies chroniques ou de troubles respiratoires, aux personnes en situation de handicap, de rester autant que possible à leur domicile. Elles pourront, bien sûr, sortir de chez elles pour faire leurs courses, pour s’aérer, mais elles doivent limiter leurs contacts au maximum. »

Il choisit alors de maintenir le premier tour des élections municipales, contre l’avis de nombreux médecins. Le lendemain, les différents ministères convoquent les organisations syndicales en insistant sur un point : le travail continue, seuls certains personnels bien identifiés peuvent rester chez eux. En parallèle, le ministre Blanquer affirme que 50% de la population pourrait être touchée, tout comme Angela Merkel qui parle elle de 60 à 70% de la population allemande. Le ministre de la Santé affirme quant à lui que « 80% des gens ne font pas ou peu de symptômes, donc c’est un virus qui est asymptomatique ou bénin chez l’immense majorité des Français ».

Seul Boris Johnson, le Premier ministre du Royaume-Uni, nomme clairement l’objectif recherché : l’immunité de groupe, et assume sa stratégie : le laisser-faire. Finalement, le 23 mars, face à explosion du nombre de décès et de personnes infectée, Boris Johnson fait volte-face et instaure le confinement de la population du Royaume-Uni [1]

Toutes malades pour arrêter l’épidémie ?

Le « laisser-faire » est une stratégie pour endiguer un virus : on laisse les personnes « résistantes » le contracter, elles développent ainsi une résistance, et au-delà d’un certain seuil, le virus n’arrive plus à se propager dans la population et disparait, sans avoir eu le temps d’impacter les personnes « à risque ». Selon les modèles théoriques de base en épidémiologie, ce seuil vaut 1-1/R0, R0 étant le nombre de personnes moyen à qui chaque porteur transmet la maladie dans une population saine et sans immunité préalable (conditions optimales pour le virus).

On l’estime pour le Covid-19 entre 2,2 et 3,5, avec une médiane [2] dans la littérature scientifique qui s’établit à 2,8, ce qui donne un seuil de 55% à 71% de la population, avec une médiane à 64%. On retrouve ainsi les chiffres avancé par Merkel et Blanquer.

Supposons donc que les personnes de plus de 70 ans ou fragiles soient complètement épargnées par la maladie et calculons le nombre de morts pour les autres tranches d’âge. On connait le taux de mortalité par tranches d’âge en Chine (qui sous notre hypothèse aurait été bien plus élevé puisque les hôpitaux auraient été surchargés de malades) et la répartition de la population française par tranches d’âge, il suffit donc de multiplier et d’ajouter.

Avec une proportion de 64% de personnes infectées, on trouve tout de même 300.000 morts dont 60% parmi les 60-70 ans. C’est le chiffre avancé dans Le Monde [3], que Macron a vraisemblablement eu sous les yeux.

Quelles conclusions pour l’immunité de groupe ?

En conclusion, Macron a dans un premier temps opté pour une stratégie de quasi laisser-faire en se contentant de fermer les écoles, et ce malgré le fait qu’une partie du comité scientifique de suivi lui a présenté des modélisations expliquant que cela entraînerait peut être de 300.000 à 500.000 morts. On sait, depuis, que le Pr Raoult, à l’époque un pied dedans un pied en dehors du comité scientifique, s’est opposé, et s’oppose encore, au confinement généralisé de la population, lui préférant, comme bien d’autres, une campagne massive de dépistage et un confinement des malades seulement – mais encore fallait-il s’y prendre à temps !

Macron avait donc d’abord choisi, comme à son habitude, d’harmoniser par le bas : pas de dépistage massif, qu’il aurait fallu décider dès février, et pas de confinement généralisé. En laissant faire, il espérait ainsi sans doute limiter l’impact économique sur les grandes entreprises. Début avril, Trump, Bolsonaro et d’autres sont encore de cet avis.

Macron a fini par changer d’avis, vraisemblablement sous la pression des médecins qui se sont alarmés de la saturation à venir des hôpitaux. Mais le confinement décidé sur le tard n’a finalement pas permis d’éviter la saturation des hôpitaux. En harmonisant par le bas la stratégie, il a harmonisé par le bas les résultats !

Pour sa part, l’UCL affirme qu’avec un service public hospitalier en bon état, un vrai stock de masques et une recherche publique elle aussi en bon état, la sonnette d’alarme aurait pu être tirée plus tôt et on aurait pu éviter le confinement de classe aujourd’hui à l’œuvre en France. En anticipant mieux, en ne se compromettant pas avec le grand patronat désireux de préserver ses comptes en banque, on aurait pu mettre en place une stratégie sanitaire moins liberticide, avec une campagne de dépistage, un confinement des malades seulement, des gestes barrières appropriés par la population plus tôt et un risque de saturation des hôpitaux nettement moindre.

Groupe de travail « Sciences » de l’UCL

[2À ne pas confondre avec la moyenne : la médiane permet de séparer deux ensembles de même taille ce qui signifie que la moitié des seuils sont en dessous de 2,8 et l’autre moitié au dessus

 
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