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Vidéosurveillance : le fléau s’étend




À la campagne comme à la ville les caméras de vidéosurveillance fleurissent. Même dans un petit village de l’Orne, les élus diffusent la peur pour mieux contrôler et surveiller la population. L’éducation populaire et l’organisation des permiers concernés permettra de lutter contre la technopolice.

Lors d’une projection débat autour du documentaire Un Peuple qui se tient sage de David Dufresne organisée par le groupe de liaison UCL de l’Orne, une question est lancée : « Comment lutter en campagne, loin des grosses mobilisations urbaines ? » En plein débat, nous apprenons que le maire LR de la commune de Putanges-le-Lac, 2 400 habitants, compte installer 21 caméras pour un budget de 240 000 euros (auquel il faudra ajouter environ 10 000 euros d’entretien par an). Le collectif Vivre Ensemble Putanges (VEP) se monte donc pour alerter la population et lutter contre l’installation de ce système de vidéosurveillance, prévu pour surveiller le lac de la commune et lutter contre les incivilités (dépôt sauvage d’ordures, rodéos de mobylettes, tag au feutre à l’arrêt de bus, etc.).

En France, la vidéosurveillance, c’est déjà plus de 93 000 installations sur la voie publique et pourtant... Ce n’est utile que dans 0 à 3 % des affaires résolues par la police et la gendarmerie ; dans 97 % à 99 % des cas, les caméras sont peu voire inutiles dans les enquêtes ; c’est la porte ouverte à la vidéo-verbalisation et à la reconnaissance faciale (avec des taux d’erreurs important pour les personnes racisées…) ; c’est 100 % des passantes surveillées : nous sommes toutes et tous présumés coupables  !

Collusion entre Élues et entreprises

De nombreuses actions se sont petit à petit mises en place : une pétition contre ce projet, du boîtage pour informer l’ensemble des habitantes de la commune, des tractages sur les marchés, un dialogue avec la municipalité pour obtenir des informations et signifier l’opposition ou le questionnement de l’utilité d’un tel dispositif de surveillance, et ce sans réelle réponse.

En parallèle, le collectif VEP a lancé un recours devant le tribunal administratif de Caen pour contester l’autorisation préfectorale concernant l’installation de ces caméras. Le collectif est accompagné et défendu par un avocat de La Quadrature du Net, spécialisé dans ce sujet.

Aujourd’hui, le collectif essaie de pousser la réflexion au-delà du simple problème de démocratie local et de surveillance de la population à Putanges-le-Lac, se rendant progressivement compte que le sujet est bien plus large qu’une problématique locale, et qu’il est loin de ne concerner que les caméras. Ainsi, de nouvelles actions permettent de continuer le travail d’éducation populaire, et de politisation du bocage : des projections débats (7 milliards de surveillés, Commune commune), une soirée formation (historique, progression de la surveillance, prise de recul sur la situation globale en France) en présence du CROC, un collectif antirépression de Caen. Tout ceci dans une commune n’ayant jamais connue de contestation depuis des décennies… Mobiliser et faire revenir dans le débat des personnes abreuvées à la propagande de droite sécuritaire n’est pas chose aisée. Localement, la même droite, qui veut aujourd’hui installer la vidéosurveillance, fonctionne depuis longtemps de façon clanique. Elle est omniprésente, dans tous les organismes, les conseils d’administration, et les associations importantes.
La méthode est assez classique : on caresse les aînés dans le sens du poil, tout en alimentant leurs peurs et en stigmatisant les jeunes et les précaires : augmentations des subventions aux clubs d’aînés ruraux pendant qu’on coupe celles de la culture ; volonté affichée de surveiller les jeunes, tout en étant systématiquement sur leur dos, les empêchant de se rassembler sur la voie publique ; campagne de désinformation sur l’augmentation des délits, avec à l’appui des chiffres faux et manipulés. Comme à la réunion d’information publique où ils ont inclu les violences conjugales (en hausse depuis le Covid) afin de gonfler le chiffre des violences sur la commune, et ainsi mieux justifier l’installation de vidéosurveillance dans l’espace public. Ce qui ne changera évidement absolument rien pour les femmes violentées à leur domicile… Cette instrumentalisation cynique est typique de leur façon de procéder.

Garantir les libertés par l’auto-organisation

Une autre manière de « contrôler » les campagnes est la perfusion de subventions dans des associations importantes : ils créent une dépendance à l’argent, puis en contrepartie, ils placent leurs pions dans les conseils d’administration, verrouillant les décisions en leur sens. Au passage, ce clan ne se prive pas pour enrichir leurs copains « entrepreneurs » au détriment de la nature, du climat, de la biodiversité, et des libertés. La vidéosurveillance à la campagne est donc une étape de plus dans le verrouillage des libertés individuelles et de la pensée critique, ce qui n’a rien de « républicain ». Un signe de plus vers une dérive totalitaire de nos campagnes.

Auto-organisation, repolitisation, mobilisation et analyses critiques des politiques locales, c’est bien un processus de luttes et de transformation sociale qui se construit, bien loin des initiatives « bobo new age » pseudo alternatives que l’on voit fleurir ici avec l’arrivée des néoruraux CSP+. C’est d’ailleurs l’un de ces fameux « tiers-lieux » qui nous a fermé ses portes sans qu’aucun problème ne soit survenu, simplement parce que nous sommes « politisés ». Ce qui bizarrement n’a pas été reproché au député en campagne Jerome Nury relayant son passage dans ce même lieu sur les réseaux sociaux…

Derrière l’apparence de désert conservateur, la ruralité est un terrain d’expérimentation politique vivant qui nous pousse à sortir de nos reflex militants habituels. Ici comme ailleurs, non à la technopolice !

Maxime (UCL Orne), Muhsin (Paris nord-est) et Pablo (UCL Saint-Denis)


VILLE « SÛRE » : UNE PRIVATISATION DES POLITIQUES DE SÉCURITÉ

La question de la sécurité s’installe souvent au cœur des campagnes électorales depuis 2002. En France, à l’ère de la gouvernance algorithmique, les grands groupes industriels
se positionnent sur les marchés des projets de ville « intelligente » et « sûre » en s’alliant à des élus locaux. Ils profitent des outils informatiques dans l’espace public urbain pour surveiller, prédire, et contrôler les flux de personnes et de marchandises. À Marseille, l’observatoire Big data de la tranquillité publique, confié à l’entreprise Engie Ineo, intègre des sources issues des services publics municipaux mais aussi de « partenaires externes », tels que le ministère de l’Intérieur, qui centralise de nombreuses données relatives à la localisation des téléphones portables, et qui permettent de cartographier en temps réel les « flux de population ».

Une autre technique de la ville « sûre » a pour base l’analyse automatique des flux de vidéo-surveillance. L’État a investi des centaines de millions d’euros dans l’achat de caméras depuis 2007. Des projets de vidéosurveillance dite « intelligente » se mettent en place dans les grandes villes à Toulouse, Nice, Marseille, Paris et récemment dans
le département de Seine-Saint-Denis pour expérimenter la reconnaissance faciale, et ce malgré les réserves de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

 
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