Étude : Une approche historique de l’hétérosexualité




L’universitaire Louis-Georges Tin publie une étude sur l’émergence de la culture hétérosexuelle, nullement « naturelle » mais au contraire construite au fil d’un long cheminement.

Dans ses travaux actuels, l’universitaire Louis-Georges Tin – qui a dirigé le Dictionnaire de l’homophobie en 2003 et fondé en 2005 la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie – étudie un vaste continent inconnu : la culture hétérosexuelle. L’auteur ne peut que constater l’omniprésence de l’imaginaire du couple hétérosexuel dans les contes pour enfants, les romans pour adultes, le cinéma, la télévision, les journaux, la publicité, la chanson populaire… et conteste que cette culture soit « naturelle », contrairement à la reproduction sexuée.

Ce positionnement en observateur de l’hétérosexualité est unique. Ce livre est le premier de trois ouvrages qui seront consacrés à l’histoire de la culture hétérosexuelle.

L’Occident n’a en effet pas toujours accordé au couple homme-femme cette place éminente dans les représentations culturelles. Louis-Georges Tin fonde son analyse sur l’émergence historique du couple hétérosexuel dans les œuvres littéraires, des prémisses au Moyen-Âge à la généralisation de la culture hétérosexuelle à partir du XVIIe siècle en passant par sa montée en puissance sous la Renaissance. Aux différentes étapes, la noblesse, le clergé et, sous d’autres formes, le corps médical, se sont opposés à cette émergence.

Le Moyen-Âge se caractérise par l’« homosocialité », incarnée par les relations d’amitiés viriles mais tendres entre chevaliers – ne correspondant à aucune relation d’aujourd’hui – et le primat religieux du célibat et du sacerdoce sur le mariage.

Malgré les résistances des poètes vantant la chevalerie, l’« amour courtois » puis le romantisme amoureux s’imposeront dans la littérature et, avec eux, l’omniprésence du couple hétérosexuel.

Quand l’Église s’adapte

Pendant longtemps, l’Église catholique s’oppose officiellement à la chair, et donc à la femme. Elle tentera de s’opposer aux représentations de l’amour hétérosexuel en les détournant vers l’amour de la Vierge et en promouvant, sans succès, des œuvres pieuses. Dans le même temps elle s’adaptera en faisant du mariage un sacrement pour encadrer des relations amoureuses qu’elle ne peut empêcher. Elle ne parviendra qu’à sauver le célibat des prêtres, conservant ainsi la hiérarchie entre les sacrements de l’ordination et ceux du mariage, et donc la supériorité de l’Église sur le reste du monde.

Bien entendu, la prédominance culturelle du couple hétérosexuel s’est accompagnée d’une condamnation de l’homosexualité. Les diagnostics de la médecine sur l’homosexualité passeront de la « maladie d’amour » et de la « mélancolie érotique » à l’« amour médecin » pour finir par définir l’homosexualité comme une « maladie ». Cette conception restera celle de l’Organisation mondiale de la santé jusqu’en 1990.

À un des stades de l’évolution de la pensée médicale, l’hétérosexualité était l’« attachement morbide » à une personne de l’autre sexe, et l’homosexualité l’« attachement morbide » à une personne de même sexe, la normalité devant être le mariage et la procréation avec un attachement modéré au partenaire.

Il est d’ailleurs piquant de noter que si de nombreuses études « scientifiques » ont été et sont toujours consacrées à la recherche des causes de l’homosexualité, il n’y en eut jamais à celles de l’hétérosexualité.

L’auteur révèle que l’État n’a fini par autoriser la mixité scolaire que pour lutter contre les tentations homosexuelles. Et pour que cette mixité ne s’accompagne pas d’une confusion des genres, des pratiques scolaires différentes ont été instaurées (cours de gym séparés et même, à l’origine, matières différentes...).

Pratiques scolaires différentes

La norme hétérosexuelle, finalement généralisée, est cependant contestée par ceux et celles qui se rappellent, avec Freud, qu’elle n’est pas « naturelle », ou par les féministes qui combattent l’hétérosexisme, c’est-à-dire l’hétérosexualité en tant qu’unique système légitime.

Une dimension manque, sur laquelle l’auteur avoue son ignorance : pourquoi ce surgissement du couple hétérosexuel dans la culture occidentale ?

Louis-George Tin dirige la collection « Sexes en tout genre » aux éditions Autrement. Il poursuit son exploration historique et sociologique de l’hétérosexualité sur son blog Observatoire de l’hétérosexualité : http://heterosexualite.blogs.liberation.fr.

Christine (AL Orne)

• Louis-Georges Tin, L’Invention de la culture hétérosexuelle, Autrement, 2008, 201 pages, 20 euros.

 
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