Culture

Lire : Chimamanda Ngozi Adichie, « Americanah »




Dans son livre le plus connu, l’autrice féministe Adichie déploie un antiracisme radical et moqueur, et nous offre une héroïne inspirante… Mais finit sur un éloge du harcèlement !

Chimamanda Ngozi Adichie est une autrice nigériane de renommée internationale, bien installée dans les librairies françaises depuis 2015, année de la parution chez Gallimard de son titre phare, Americanah (traduit par Anne Damour).

Le roman suit la jeunesse d’Ifemulu, jeune nigériane à l’esprit indépendant et sans concessions, qui privilégie toujours la franchise aux convenances. Comme beaucoup de jeunes de Lagos, elle rêve d’émigrer aux États-Unis et finit par y rejoindre sa tante, devenant ainsi une Americanah : quelqu’un qui a été en Amérique et qui en revient changée. Car après quelques années bien remplies, elle revient.

Le livre contient beaucoup d’aspects très stimulants et dénonce avec autant de finesse que de virulence l’hypocrisie, le sexisme et surtout le racisme de la société américaine. Ifemulu découvre en arrivant qu’elle est Noire, et que ce fait qui n’avait aucune incidence dans sa vie au Nigeria déterminera chaque facette de son quotidien aux États-Unis.

Elle ouvre donc un blog dans lequel elle dénonce cet état de fait ainsi que les circonvolutions intellectuelles de celles et ceux qui s’en accommodent. Ses posts sont distillés tout au long du roman et ne sont pas sans écho pour nous en France, qui vivons dans une société profondément imprégnée par le racisme.

Racisme aux États-Unis, vénalité au Nigeria

C’est aussi une satire de la haute société nigériane, présentée comme un agrégat de gens intéressés et cupides, dans des passages cruels et drôles.

Mais, il y a un mais, et quel mais ! Adichie nous peint une grande histoire d’amour, entre Ifemulu et Obinze, le jeune homme calme et réfléchi avec lequel elle s’accorde si bien, avant son départ. Me voilà obligée de dévoiler un peu la fin du livre pour en pointer l’énorme problème ; il s’achève sur un éloge du harcèlement !

Voici les toutes dernières lignes, voici sur quels mots ce long et beau texte de presque 700 pages s’achève (c’est moi qui souligne) :

« Il se tut, fit un mouvement, et lui dit : « Ifem, je t’ai poursuivie et je continuerai à le faire jusqu’à ce que tu me donnes une chance. » Elle le regarda longuement. Il disait ce qu’elle voulait entendre et elle continuait à le regarder.
« Ciel, dit-elle enfin. Entre. » »

Et voilà, ils vécurent heureux on suppose, parce qu’il n’a pas tenu compte du silence qu’elle opposait à tous ses appels. Elle ne répondait pas à ses avances mais souhaitait ardemment qu’il la « poursuive » …

Une reprise décevante d’un cliché misogyne

Certes, le livre a été écrit en 2013, avant la déferlante Me too donc. Certes, les particularités du déroulé de cette histoire d’amour précise, et les personnalités des personnages, peuvent expliquer cette fin, mais cette fin est très choquante !

Il faut en finir avec ce mythe de la femme qui ne donne aucun signe de consentement en rêvant secrètement de se faire harceler. On était en droit d’attendre autre chose de la part de l’autrice de l’excellent Chère Ijeawele, manifeste pour une éducation féministe (traduit par Marguerite Capelle, chez Gallimard aussi).

Mélanie (amie de l’UCL)

  • Chimamanda Ngozi Adichie, Americanah, traduit de l’anglais (Nigéria) par Anne Damour, éditions Folio, 2016, 685 pages, 9,70 euros.
 
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