Culture

Amandine Thiriet : « pour les droits de toutes et tous les intermittents de l’emploi »




Depuis 2009, elles sont quelques bénévoles, actives professionnellement dans le milieu du spectacle, mères, à avoir pris en charge les suivis des dossiers de congés maternité et maladie d’autres intermittentes.

Conscientes des dysfonctionnements de la Sécurité sociale pour les emplois discontinus, elles ont acquis une véritable expertise au fil des ans. Aujourd’hui, Le collectif les Matermittentes traite quotidiennement des dizaines de demandes : informations, appels à l’aide, ou suivis de dossiers en cours de contestation, accompagnement en justice…

Alternative libertaire  : Pour qui et pour quoi vous battez-vous ?

Amandine Thiriet  : Nous nous occupons des congés maternité mais aussi des arrêts maladie, ce qui concerne finalement tout le monde. Bien sûr, les dossiers que nous recevons le plus concernent les congés maternité, tout simplement parce que le congé maternité est obligatoire, tandis qu’il y a un non recours massif à l’arrêt maladie chez les intermittents et précaires, qui y perdent tellement qu’ils préfèrent ne pas les poser. Mais nous nous battons pour une protection sociale pour toutes et tous à tout moment.

Les affections longues durées telles que les cancers ou les opérations lourdes qui nécessitent de longs arrêts et une vraie protection humaine et financière nous préoccupent tout autant, et ont des conditions très proches du congé maternité.C’est aussi un combat pour les femmes dans la mesure où il est inacceptable qu’une femme qui s’apprête à avoir des enfants puisse perdre soudain des droits ou être précarisée du seul fait d’attendre un enfant. Nous défendons la liberté des femmes  : le droit à l’indépendance financière par la protection sociale et l’indemnisation de son arrêt, et le droit de vivre une grossesse et un accouchement sans stress et sans complication d’aucune manière.

Quels sont vos moyens d’actions ?

Nous avons mis en place, depuis 2019, des simulateurs pour calculer les indemnités de maladie et de maternité en rentrant les salaires et les périodes de travail. Contrairement au simulateur du site Ameli.fr, qui est erroné, car il ne tient pas compte des spécificités des professions discontinues, nos simulateurs s’appuient sur le Code de la sécurité sociale. Nos simulateurs permettent notamment aux assurées de savoir si la CPAM leur accorde une indemnisation fausse, et de mieux pouvoir contester.

Nous avons été frappées, en rencontrant des spécialistes des ministères ou des responsables de la Sécurité sociale, de se rendre compte de leur méconnaissance du Code de la sécurité sociale, et leur désintérêt des problématiques qui y sont liées. Notre collectif de défense de droits existe seulement parce que la sécurité sociale fonctionne mal et c’est un triste constat. Notre souhait le plus cher  : qu’un jour il n’y ait plus besoin de nous.

Comment avez-vous élargi vos revendications aux intermittentes de l’emploi ?

La sécurité sociale ne fait pas de distinction entre les intermittents du spectacle et les intermittents hors spectacle  : ce sont tous des salariées à emploi discontinu. Les salariées qui travaillent de manière discontinue, en alternant des périodes de chômage et les périodes d’emploi, ont quelques aménagements spécifiques liés à leurs pratiques d’emploi, sans qu’il n’y ait de distinction concernant les salariées du spectacle et les autres, si ce n’est le paiement en cachet. Il n’y a pas d’annexe 8 et 10 pour la Sécurité sociale.

À partir de là, il était évident que notre combat pour la défense des droits allait concerner tous les intermittents de l’emploi et non pas seulement le secteur du spectacle, même si nous travaillions toutes dans le spectacle en fondant le collectif. Nous avons aussi d’emblée été en lien avec la Coordination des intermittents et précaires (CIP) dont les revendications ne se limitent pas au spectacle mais englobent tous les précaires, intermittents, chômeurs.

Nous voyons cependant apparaître depuis deux ou trois ans une distinction qui est faite par la Sécurité sociale entre les «  intermittents du spectacle  » et les autres emplois discontinus, dans les consignes internes, au détriment des intermittents hors spectacle… Nous dénonçons vivement cette distinction.

Quel bilan faites-vous de douze ans de combats ?

Les premières années, on a obtenu des changements de loi assez significatifs  : un abaissement du seuil des heures nécessaires pour avoir droit au congé maladie et maternité indemnisé, l’adaptation de la période du congé maternité dans le calcul de Pôle emploi pour que ce ne soit pas discriminant… Aujourd’hui, pourtant, les problèmes sont loin d’être finis, on semble même revenir en arrière.

En mars 2020 nous avions sorti un communiqué dressant notre constat assez édifiant, à savoir que le fonctionnement de la sécurité sociale telle qu’elle est devenue aujourd’hui, avec ses CPAM gérées par des équipes managériales, n’a plus rien à voir avec l’idée de la sécurité sociale telle qu’elle a été pensée au départ à sa création. Avec une logique de rentabilité appliquée, chaque caisse édicte ses propres consignes de fonctionnement, parfois au détriment ou en contradiction du Code de la sécurité sociale, et sans aucune transparence. Nous nous retrou­vons à devoir systématiquement contester les dossiers pour que les assurées obtiennent leurs droits. Nous obtenons gain de cause sur toutes les contestations, mais le problème est que 80 % des dossiers que nous recevons ont besoin d’être accompagnés et défendus pour que les personnes aient accès à leurs droits !

C’est un fonctionnement complètement anti-démocratique, anti-solidaire, et que nous dénonçons comme une grave dérive sur le principe même.
Alors notre bilan  ? On a encore hélas du pain sur la planche avant de pouvoir disparaître…

Quelle protection sociale souhaitez-vous ?

Nous trouvons absurde qu’il existe encore un seuil d’heures travaillées nécessaires à faire en un temps donné pour avoir accès au congé maternité ou à l’arrêt maladie. Ça signifie qu’en France, il est encore possible, même si on travaille depuis des années, de ne pas être indemnisé pas la Sécurité sociale en cas de maladie ou maternité, juste parce qu’on n’a pas travaillé le bon nombre d’heures au bon moment. C’est un vrai problème pour les professions discontinues, et ce problème s’est évidemment accru jusqu’à l’absurde en temps de crise sanitaire avec des secteurs paralysés, montrant que ces seuils conditionnels n’ont pas de sens.

Selon nous, l’accès à l’indemnisation des congés maternité et maladie devrait être automatique pour toutes et tous, sans conditions, avec un plancher minimum pour celles et ceux qui ont très peu travaillé. C’est un droit fondamental qu’on devrait accorder à chacune et chacun dans un pays civilisé et social.

Nos revendications s’exportent en Europe. Nous avons créé un groupe de réflexion sur les droits sociaux en Europe pour les artistes et précaires avec des camarades italiens  : nous commençons peu à peu à rassembler et comparer nos constats, nos revendications, nos manques afin d’établir une revendication européenne de droits sociaux attachés à la personne et d’une vraie protection sociale des précaires.

Propos recueillis par Nicolas (UCL Tours)

Il est possible de soutenir les revendications des Matermittentes en faisant un don (prix libre) au Collectif Les Matermittentes, ou en apportant ses compétences de droits, compta ou communication.

 
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