Syndicalisme

BNF : des rêves de béton et de salariées en carton




La Bibliothèque nationale de France veut fermer le site de Bussy et en bâtir un autre dans le Triangle de Gonesse, passant par dessus bord préoccupations environnementales et sociales. Les salariées – ébranlées par un suicide à Tolbiac l’été dernier – se mobilisent.

Plusieurs foyers de contestation se sont allumés, ces dernières années, dans un des principaux établissements du ministère de la Culture, contre les reculs sociaux et les prédations capitalistes en tout genre. Il y a moins d’un an, le 3 août 2020, le suicide d’un agent sur le site de Tolbiac a choqué les personnels, qui ont tout de suite montré du doigt le management, le sous-effectif, le manque de moyens. Sept jours plus tard, une grève éclatait.

Le 26 mars, en CHSCT, un rapport d’enquête paritaire a également pointé le management. Riposte de la direction : après avoir tenté d’invalider les conclusions du rapport, elle prévoit désormais d’en réexaminer les préconisations à l’aune d’un audit commandé à un cabinet privé et devant porter sur les conditions de travail des magasinières et magasiniers. C’est ainsi qu’après avoir cherché à se laver de toute responsabilité en matière de prévention des risques psychosociaux (RPS), ­l’établissement finance un audit à grands frais, pour légitimer ensuite, on peut le craindre, une nouvelle réorganisation du ­travail.

300 postes en moins sur dix ans

Le vrai problème est que, depuis 2009, avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), sa logique infernale de restrictions budgétaires et de suppressions d’emplois, la BNF a perdu environ 300 postes. De là vient principalement la souffrance au travail : sous-effectif, réorganisations, recours accru aux contrats précaires, aux externalisations et aux prestataires extérieurs, délitement des collectifs et des conditions de travail, nouvelles formes de management.

Les défaillances et l’inaction sont d’autant plus graves dans le contexte de la crise sanitaire qui exacerbe les difficultés. La direction se précipite systématiquement pour annoncer à tous et à toutes de plus amples ouvertures de salles et une augmentation du temps de travail. Les CHSCT ne sont plus que des chambres d’enregistrement de décisions préétablies. Les agentes et agents de plusieurs sites sont pourtant parvenues à se réunir en nombre en octobre (jusqu’à 200 salariées) pour protester contre des conditions de travail sous le 2e confinement et tenter de s’opposer à la réouverture au public, qui a finalement eu lieu le 24 novembre.

Location d’espaces pour de l’événementiel

Les coupes budgétaires poussent la BNF à chercher des idées pour se renflouer. Entre autres : la location d’espaces pour des évènements privés, une politique en vogue dans les établissements publics, notamment dans les musées. La BNF étudierait, à cette fin, la libération ­d’une tour entière sur le site le plus prestigieux, François-­Mitterrand. La direction envisage également la fermeture d’un ou des deux sites de conservation et de stockage : Bussy-Saint-Georges (77) et Sablé-sur-Sarthe (72).

Sur celui de Bussy-Saint-Georges, ouvert il y a vingt ans, travaillent principalement des magasiniers, mais aussi toutes et tous les professionnels des ateliers de restauration de documents, restauration audiovisuelle, reproduction numérique et laboratoire biochimique de recherche et de décontamination. Une cinquantaine d’agentes – dont beaucoup avaient été invitées à emménager à proximité – se sont mis en mouvement pour la sauvegarde du site et pour refuser la dégradation des conditions de travail. Aux débrayages et réunions d’info s’est ajoutée une campagne de contestation créative, avec affichage et fabrication de personnages en carton dispatchés sur le site, pour dénoncer l’hémorragie de personnels.

Scandale supplémentaire : le site qui remplacerait Bussy-Saint-Georges pourrait être construit dans l’actuel Triangle de Gonesse, là même où une lutte est menée depuis des années contre la bétonisation et la destruction des terres agricoles ! En plus d’être un projet coûteux en argent public et néfaste pour la vie d’agentes auxquelles on demanderait de déménager, ou qu’on « accompagnerait » dans un nouveau projet professionnel, il s’annonce aussi destructeur de l’environnement.

En fait, le site de Bussy-Saint-Georges – et c’était prévu dès ­l’origine – possède le foncier suffisant pour bâtir une extension. Mais voilà : la direction veut que la ville et les collectivités locales participent à hauteur du tiers au financement du nouveau site ! Comme cette solution semble écartée à Bussy, la direction répond au personnel qu’il serait « peu compétitif »… À la fois cynique et aberrant !

La mobilisation est soutenue par SUD-Culture, le ministère a été interpellé mais – sans surprise – refuse d’assumer et de « s’ingérer ». Des contacts sont pris également avec le mouvement de défense du Triangle de Gonesse.

Nicolas Pasadena (UCL Montreuil)


Précaires en lutte : la biennale 2018-2019

En décembre 2019-janvier 2020, les agentes et agents de la BNF ont participé au mouvement de défense des retraites aux côtés des grévistes du Louvre, de l’Opéra et de Versailles. À l’instar d’autres établissements de la culture, la BNF a été bloquée le 23 janvier 2020.

Cette mobilisation s’inscrivait dans un cycle de luttes ouvert au printemps 2018 avec l’intersyndicale CGT-FSU-SUD, qui avait obtenu plusieurs engagements, dont le renforcement de certains effectifs.

La lutte s’était ensuite poursuivie : au côté de SUD-Culture, les vacataires avaient continué les « grèves des samedis », les actions et les interpellations du public (lire « BNF : Les précaires à la pointe de la grève perlée », Alternative libertaire, mars 2019). La ténacité et la lutte avaient arraché d’importantes concessions à une direction qui, faute de moyens, disait non à tout.
Le conflit avait cessé en mai 2019, avec un accord qui triplait le nombre de régularisations en CDI, et titularisait davantage de magasinières et magasiniers !

 
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