Politique

Combats de femmes : Pinar Selek, une sociologue engagée et condamnée à mort




Depuis 1998, la sociologue franco-turque est victime de l’arbitraire de la justice turque. Ayant bénéficié de de l’asile académique en France elle continue ses travaux universitaires mettant en avant la nécessité de la convergence des luttes face à l’intersectionnalité des systèmes de domination.

En juin 2022, Pınar Selek, sociologue, écoféministe et enseignante-chercheuse à l’université Côte d’Azur, vient de voir son quatrième acquittement annulé et voit confirmée sa condamnation à la prison à perpétuité par la cour suprême de Turquie. La « justice » turque lui reproche sa participation au « pseudo attentat » qui a touché le Marché aux épices d’Istanbul le 9 juillet 1998. Un explosion avait fait sept mortes et cent-vingt-et-un blessées. Bien qu’il ait été démontré que l’explosion était due à une fuite de gaz, le pouvoir n’a eu de cesse de l’attribuer à une bombe posée par le PKK.

Pinar Selek qui mène alors des entretiens au sein de la communauté kurde est arrêtée le 11 juillet 1998 par les autorités turques qui cherchent à connaître les noms des personnes qu’elle a interviewé dans le cadre de son projet sur l’histoire orale. Pinar refuse. Il lui est alors imputé une participation au « pseudo attentat » du Marché aux épices. Elle est placée en détention préventive et torturée. Finalement, après 36 mois d’emprisonnement, elle est libérée en décembre 2000 faute de preuves… mais le procès se tient toujours. En 2006 le verdict tombe, Pinar est condamnée à perpétuité. Depuis, par quatre fois, le jugement a été cassé et Pinar a été systématiquement acquittée… mais le pouvoir turc continue son harcèlement et chacun de ses acquittements fait aussitôt l’objet d’un appel du procureur.

Depuis vingt-cinq ans maintenant Pinar Selek est victime de l’arbitraire d’État et d’une justice ubuesque [1]. Ce qui n’empêche pas la chercheuse et militante de continuer à œuvrer sans relâche pour mener de front ses travaux universitaires et ses combats, notamment féministes. Depuis ses premiers travaux, Pinar Selek interroge les identités, notamment de celles et ceux qui sont en marge des normes traditionnelles, dans le contexte du nationalisme turc. Elle se penche ainsi sur les vies et combats des personnes trans et travesties, en lutte contre les violences nationalistes et policières. L’ouvrage tiré de cette recherche (Masques, cavaliers et nanas. La rue Ülker : un lieu d’exclusion dans sa traduction française), maintes fois réédité en Turquie, a permis une véritable prise de conscience politique et l’établissement de solidarités entre communautés de destin face au pouvoir.

Pleinement investie au sein des mouvements d’émancipation elle organise de nombreuses rencontres et manifestations antimilitaristes. En 2008 elle s’attaque à la masculinité dans le contexte du régime autoritaire de Turquie, en publiant Devenir homme en rampant sur la construction de la masculinité dans le contexte du service militaire.

Un précieux travail sur le genre et la marge

Depuis 2011 et son installation en France, Pinar Selek continue d’ici son infatigable travail d’information et de conscientisation. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits et son maintenant disponibles en français : des romans, des essais, des ouvrages d’entretiens et même des contes à destination des enfants [2].

Face à l’acharnement de l’État turc qui semble ne pas vouloir s’arrêter, l’engagement de Pinar Selek reste inébranlable « Je ne lâcherai rien » répétait-elle en janvier dernier. Nous apportons tout notre soutien à Pinar et à ses combats ainsi qu’à toutes les victimes de l’État turc.

Muhsin (UCL Paris Nord-Est)

[1« Pınar Selek – Une condamnation ubuesque » sur kedistan.net

[2Pour en apprendre davantage sur Pinar Selek et son travail : pinarselek.fr

 
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