Culture

Lire : Treize, « Charge. J’ouvre le huis clos psychiatrique »




« J’ouvre le huis clos psychiatrique »  ; voilà le sous-titre, programmatique, de cet essai à la fois très littéraire et très engagé.

L’autrice, Treize, slammeuse, a vécu un bon nombre d’années en plein dans l’univers médical de la santé mentale ; entre hospitalisations et suivi psychiatrique. Elle va mieux aujourd’hui, et en profite : elle veut écrire la violence qu’il y a à se sentir totalement aliénée à un système parfaitement huilé qui vous inscrit comme « patiente », passive et ignorante, face aux « sachants » qui vous diagnostiquent.

On pense tout de suite à la question du manque de moyens, criant dans les hôpitaux psychiatriques encore plus que dans le système hospitalier en général. Mais Treize n’en a cure, chercher les causes n’est pas son propos, ce qu’elle traque, ce qu’elle veut nous faire sentir, c’est l’immense détresse provoquée par une situation mal pensée. Dès le tout début du livre, elle nous raconte que lors de sa première arrivée à l’hôpital, elle a « des vers au cul », probablement attrapés via la literie. Personne ne l’examine, on ne la croit pas vraiment, on met ses propos sur le compte d’un léger délire… C’est seulement lorsqu’elle sera sortie qu’elle pourra aller en pharmacie acheter le traitement (deux cachets, sans ordonnance, soulagement quasi immédiat). Mais en attendant, elle passe ses nuits à mal dormir puisque ça gratte…

Elle raconte aussi « l’épreuve de la balance » ; chaque semaine, le samedi matin, c’est la pesée. Tout le monde en rang avant de pouvoir entrer dans la salle du petit déjeuner, il faut monter sur la balance et noter son poids sur le cahier à côté. Une surveillante est là pour s’assurer du bon respect de la procédure. Problème : la balance ne va pas au-delà de 100 kilos. Treize est arrivée avec un poids qui dépasse les 140. Humiliation donc, chaque samedi matin, puisque la personne qui surveille n’est jamais la même  ; il faut refuser de se peser, et expliquer pourquoi, devant tout le monde. Ce qui demande du courage en temps normal est quasi impossible pour une personne fragilisée.

À travers de très nombreuses autres scènes, on entrevoit peu à peu le grand cercle vicieux auquel doivent se soumettre les patientes prises en charge dans les unités psychiatriques  ; ils et elles y résident pour répondre à un intense mal-être… Mais pour répondre à cette détresse, on les place en situation de dépendance extrême, d’infantilisation, voire pire. On n’a plus aucun droit en hôpital psychiatrique. En échange des soins, il faut renoncer à son libre-arbitre, à son estime de soi, à ses capacités de réflexion propre (allez contester un traitement donné par un psychiatre quand vous êtes hospitalisée).

En plus d’être merveilleusement bien écrit (on sent que Treize est une slammeuse, chaque mot claque, chaque phrase résonne), ce livre est un cri radical, une dénonciation très efficace d’une situation d’oppression très violente, aujourd’hui peu pensée et cautionnée par presque toute la société. Indispensable  !

Mélanie (UCL Grand Paris Sud)

  • Treize, Charge. J’ouvre le huis clos psychiatrique, éditions de la Découverte, février 2023, 128 pages, 16,50 euros.
 
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