Féminisme et lutte homosexuelle : Pas mariés et fiers




En ce mois de Gaypride, le thème du mariage homosexuel ne va pas manquer d’être de nouveau abordé. Mais est-ce une si bonne idée ? Il importe plus de lutter contre le système patriarcal que de chercher à s’y intégrer.

À l’origine de la deuxième vague du féminisme des années 1970, on trouvait une majorité de lesbiennes. Des femmes qui aimaient les femmes et se situaient donc partiellement en dehors du patriarcat, place privilégiée pour mettre au jour et combattre ce système d’oppression spécifique. Si une minorité d’entre elles a fini par prôner le séparatisme lesbien, c’est à la fois parce que les féministes hétérosexuelles ont longtemps partagé l’homophobie ambiante de la société, et parce que les hommes ont investi le champ des luttes homosexuelles à leur profit.

Les impasses des luttes homosexuelles

La revendication du mariage, au départ portée par les hommes homosexuels dans le contexte des années sida, illustre bien la divergence totale entre les luttes homosexuelles et les luttes féministes, qui ont toujours dénoncé le mariage comme une institution patriarcale. Cette revendication est problématique : d’un côté, le mariage entre deux personnes du même sexe sape clairement les fondements hétérosexuels du patriarcat, et les familialistes qui s’en sont pris violemment au PACS ne s’y sont pas trompés ; mais, de l’autre, il reconduit la domination du couple exclusif au détriment des célibataires (qui sont, par exemple, plus lourdement taxés par l’État) et de toutes les autres formes possibles de relations amoureuses et d’associations de vie ou de parentalité. La revendication du mariage traduit bien la stratégie des luttes homosexuelles contemporaines : s’intégrer au système sans le détruire, en faisant preuve de respectabilité. Les gays et les lesbiennes seraient dignes de droits égaux aux hétérosexuel-les parce qu’eux et elles aussi forment des couples stables et même des familles.

Pour un combat commun contre le patriarcat…

En tant que tel, le patriarcat n’induit pas uniquement l’inégalité des femmes et des hommes mais aussi la division de l’humanité en deux genres et l’exploitation de l’un par l’autre à travers la contrainte à l’hétérosexualité [1]. Cette fois-ci, il s’agit moins de faire converger les luttes que de construire une lutte cohérente contre le patriarcat : remettre en cause l’exploitation des femmes par les hommes, le système de genre binaire, la contrainte à l’hétérosexualité et à la reproduction ou, plus généralement, tout renvoi des formes sociales à de prétendues raisons naturelles. Tout cela est dans l’intérêt de l’émancipation des femmes comme des homosexuels et des trans’. Cela signifie que toute lutte féministe ou homosexuelle qui ne prend pas en compte l’intégralité du système patriarcal, et notamment l’intérêt des différents groupes qu’ils oppriment – et, parmi eux, des plus dominés que sont les lesbiennes et les trans’ – se condamne à l’échec.

… l’égalité des droits ne suffit pas

Cela signifie aussi que l’égalité des droits ne peut être une fin en soi. L’exemple des femmes est parlant : si elles ont aujourd’hui des droits quasiment égaux à ceux des hommes, elles restent exploitées par les hommes et opprimées par le patriarcat, tandis que le sexisme s’affiche fièrement sur les murs de nos villes. De la même façon, la conquête de nouveaux droits pour les gays et les lesbiennes n’a guère fait reculer l’homophobie quotidienne et l’impossibilité pour eux et elles de vivre leur homosexualité au grand jour partout, tout le temps. Le thème de la Marche des fiertés LGBT parisienne, cette année, sera centré sur l’histoire des luttes : « 1969-2009 : fièr-e-s de nos luttes, à quand l’égalité réelle ? ». Conquérir cette égalité réelle passe par la construction d’un mouvement social anti-patriarcal large associant féministes et militantes et militants LGBT dans une perspective révolutionnaire qui ne se limite pas à la conquête de droits nouveaux. Cela suppose un travail militant pour populariser l’analyse critique du patriarcat et du système de genre, capable de mobiliser une large part de la population. L’égalité réelle passe en effet par un combat idéologique qui sache faire le lien entre les facettes multiples du système patriarcal. Combat qui est aussi à mener parmi les féministes, les militants et militantes LGBT.

Anne Arden (AL Paris Nord-Est)

[1Voir sur ce point l’interview de Christine Delphy dans AL n°183 : http://www.alternativelibertaire.org

 
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