Chronique du travail aliéné : Marie-Josiane, déléguée à la tutelle




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).


<titre|titre="De toute ma carrière, je n'ai jamais connu une telle pression sur les pauvres">

On est censées aider les gens à gérer leur budget… enfin on contrôle ce qu’ils font des allocations familiales que la CAF leur verse. Et ça devient de plus en plus dur. Ce matin, j’ai appelé Véolia, c’était terrible. Ils ont coupé l’eau au début du week-end pour une famille, une mère qui élève seule ses trois enfants. Elle m’a appelée ce matin, ça faisait deux jours sans eau. Elle devait trente euros, même pas. En plus j’avais prévenu, je leur avais envoyé un fax pour dire que je faisais une demande d’aide au Conseil Général. L’agent au téléphone m’a dit qu’elle avait bien reçu mon fax mais pas celui de l’acceptation de l’aide par le Conseil Général, alors ils ont coupé et facturé quatre vingt dix euros de frais de coupure par dessus le marché ! Le Conseil Général, c’est plus souvent non que oui depuis un moment.

Je ne sais pas comment elle fait avec ses trois gosses tout petits la dame. C’est à devenir dingue. Et encore heureux qu’elle ait un compte en banque, elle, parce qu’en ce moment les petits comptes qui n’ont pas beaucoup de mouvements, ils les ferment ! Même la Poste s’y est mise, avant la Poste, ça tenait, c’est fini.

De toute ma carrière je n’ai jamais connu une telle pression sur les pauvres. Je me demande comment ça va finir. La semaine dernière la banque de l’organisme de tutelles a « oublié » de verser les 60 ou 80 euros qu’on verse aux gens chaque vendredi pour qu’ils tiennent jusqu’au vendredi suivant. Là, c’était les vacances, oubli, des dizaines de gens qui n’ont eu rien à bouffer tout le week-end. C’est notre quotidien, surtout celui des plus pauvres, en fait.

Mais nous on fait quoi ? On gère ce système de fous. On gère les coupures, il y a aussi l’électricité ou le gaz qui peuvent être coupés. Ils n’ajournent plus comme avant, hop, il suffit d’appuyer sur un bouton… C’est sans arrêt, on n’en revient pas.

Les gens nous en veulent à nous aussi évidemment parce qu’on ne les sort pas de là, je les comprends mais je n’y peux pas grand chose, en fait. Les jeunes professionnelles le prennent mal, elles se vexent quand elles se font engueuler. Sans compter qu’on se fait aussi engueuler derrière par la hiérarchie.

Moi, je me dis, vivement la retraite, je ne pense plus qu’à ça, je calcule les mois qui me restent à faire. Ca ne diminue pas vite. En attendant je gère la misère. L’austérité, comme ils disent !

 
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