Collectifs Intersexes et allié.es (CIA) : « Lutter contre la médicalisation »




A l’occasion de la Pride de nuit, le 23 juin, nous avons rencontré deux militant.es intersexes, organisé.es dans le tout nouveau Collectif intersexes et allié.es (CIA).

Alternative libertaire  : Comment définit-on l’intersexualité  ? Est-ce qu’on peut parler d’hermaphrodisme  ?

A.  : Nous, on préfère parler d’intersexuation, et pas d’intersexualité. Ça n’a pas de rapport avec l’orientation sexuelle, ce que pourrait laisser entendre le mot «  intersexualité  ». La sexuation, c’est le processus par lequel un corps acquiert différents niveaux de caractéristiques de sexe. Ensuite, le terme d’«  hermaphrodisme  » est plutôt stigmatisant – même s’il y a des intersexes qui font le choix de retourner le stigmate – et il n’a aucun sens biologiquement  : l’idée d’avoir deux appareils génitaux fonctionnels, ça ne correspond à rien.

L.  : Il y a plus de quarante variations intersexes, qui sont autant de façons de ne pas correspondre aux stéréotypes anatomiques de ce qui est classiquement vu comme «  femelle  » et comme «  mâle  ». Elles peuvent se manifester au niveau des chromosomes, ou au niveau des gonades (ovaires, ovotestis, testicules), ou encore au niveau hormonal, et potentiellement déterminer la forme des organes génitaux ou bien les caractères sexuels secondaires (la morphologie, la pilosité, la voix, etc.). Ça dépend de la définition retenue, mais on considère que l’intersexuation concerne environ 1,7 % de la population.

C’est quoi l’objet des luttes intersexes ?

L.  : D’abord, on ne se bat pas pour les droits des «  malades  », des victimes de «  troubles du développement sexuel  », comme disent les médecins. L’objectif, c’est la lutte contre la médicalisation, la pathologisation, et tout ce que ça légitime  : les mutilations, les stérilisations, les traitements hormonaux non-consentis, qu’ils soient imposés pendant l’enfance ou plus tard. Avant, et dans d’autres sociétés, il y avait des personnes variantes dans leur anatomie, les intersexes ont toujours existé, et ­c’était pas forcément considéré comme un problème. Prenons une situation d’intersexuation : celle des personnes insensibles aux androgènes. Ces personnes sont assignées filles à la naissance, à l’adolescence elles n’ont pas leurs règles, et elles sont stériles. Dans les sociétés antérieures, on faisait pas de caryotype, et on disait : «  C’est des femmes stériles  ». Maintenant on fait des caryotypes, et on dit : «  Ha, mais elles sont XY, elles ont un syndrome de ci ou ça  », on leur retire leurs testicules internes, et elles doivent prendre des hormones à vie pour compenser. Pourtant, une personne qui s’identifie comme femme et qui a des testicules, c’est pas grave !

A.  : C’est un cercle vicieux. Les médecins disent intervenir sur ces enfants pour les protéger du regard des autres, de la stigmatisation. Mais ça a pour effet d’invisibiliser encore plus les personnes intersexes. Et évidemment, plus on est invisibles et minoritaires, plus on est stigmatisé.es. Du coup, la plupart des parents ne se représentent pas que l’enfant qui va naître peut avoir un sexe atypique – et être en très bonne santé – et que c’est une possibilité parmi d’autres. Le nœud du problème, c’est les présupposés hyper transphobes et homophobes de la société, et pas les sexes atypiques. C’est ça qu’il faut combattre  ! Pour les médecins, pour qu’une assignation soit réussie il faut que le sexe de l’enfant soit «  crédible esthétiquement  », qu’il lui soit possible d’avoir des rapports sexuels «  pénis dans vagin  » et qu’à l’adolescence, la personne soit hétérosexuelle et cisgenre.

Quant au Collectif intersexes et allié.e.s, c’est quoi sa mission  ? Et comment il s’inscrit dans le paysage des collectifs intersexes  ?

A.  : Le CIA est indépendant de l’OII Francophonie (Organisation internationale intersexe), mais se trouve dans sa filiation. Il est d’ailleurs depuis peu membre de l’OII Europe. Les principes fondamentaux du CIA sont les mêmes  : c’est d’abord militer pour les droits humains. Ensuite, ça se décline notamment dans la lutte contre la médicalisation, et les interventions non vitalement nécessaires. Par ailleurs, il y a aussi des associations plus spécifiques de patients (ou de parents d’enfants) ayant tel ou tel «  syndrome  », et qui s’identifient plus à leur syndrome particulier qu’au fait d’être intersexe  ; ce sont des positionnements qui politiquement ne sont pas les mêmes. Cela dit, le plus souvent ces associations s’opposent aussi aux interventions médicales imposées.

L.  : Enfin il y a quand même certaines associations qui défendent les interventions médicales précoces. Mais dans toutes les oppressions, c’est pareil  : il y a des meufs sexistes, des homos homophobes. Depuis le plus jeune âge on nous dit qu’on est «  malades  », «  monstrueux  », etc. Il y en a qui intègrent ce discours et finissent par y adhérer. Sur le plan pratique, l’OII Francophonie, c’est en fait essentiellement une liste mail. Le CIA a l’ambition d’être plus sur le terrain  : on est dans les manifs, on participe à la Fédération trans et intersexes – qui est la première de France –, on organise des formations aux questions intersexes et des rencontres publiques. On voudrait s’adresser aussi aux mineur.es, à leur entourage, aux activistes, aux professionnel.les de santé, aux personnels éducatifs, etc. On est beaucoup dans la pédagogie et la sensibilisation.

A.  : Et on essaie d’être visibles, mais d’une façon qui nous convienne. On peut nous rendre visibles, mais en nous instrumentalisant, ou en nous donnant une image négative, infantilisante par exemple. Et puis il y a un regain de visibilité des intersexes en ce moment, mais avec un mélange de fascination, de répulsion, d’exotisation. En somme, il s’agit de décider pour nous-mêmes quel type de visibilité est bon pour nous.

L.  : C’est d’ailleurs pour ça que malgré le «  A  », le CIA est dirigé par les personnes intersexes (sur la base de l’autodétermination  : on ne demande pas les dossier médicaux).

A.  : Plus généralement, ne pas nous enfermer dans la honte et le secret, visibiliser nos luttes, ça peut permettre à d’autres de se dire que c’est possible. Quand tu es jeune gay ou lesbienne cis [1], quand tu es jeune trans, tu as des personnes visibles, qui militent, qui sont des symboles, et ça c’est hyper important. Le groupe Facebook qu’on a mis en place, le forum qui va bientôt arriver, c’est un moyen d’aider les jeunes intersexes qui vont arriver petit à petit.

Propos recueillis par Marco (AL 92)

[1Personne dont l’identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance, le contraire de transgenre.

 
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