Imaginaires Libertaires

Editions La Volte : Quand l’imaginaire interroge le politique




Quelle place pour la l’imaginaire, la littérature et en particulier les littératures de l’imaginaire dans le débat politique ? Qu’est-ce que les auteurs nous disent du monde et de ses extensions possibles ? La SF/Fantasy a toujours été un champ d’exploration privilégié des société futures mais depuis quelques années la maison d’édition indépendante La Volte pousse un peu plus loin l’exercice en proposant à des auteures de se projeter sur un thème. Sont nés de ces appels à textes deux ouvrages stimulants, autant sur le plan politique que littéraire.

Maison d’édition indépendante et engagée, La Volte est spécialisée dans les littératures de l’imaginaire : science-fiction, fantastique, transfiction, anticipation, etc., et édite notamment les ouvrages d’Alain Damasio.

Sans doute convaincue que l’on est plus fortes à plusieurs, La Volte s’est engagée dans la publication d’ouvrages collectifs et politiques : Ceux qui nous veulent du bien en 2010 ou Faites demi-tour dès que possible, recueil de fictions ancrées sur différents territoires, en 2014.

En 2017, La Volte « poursuit son exploration de notre actualité restructurée par le prisme de la science-fiction ». En pleine période d’effervescence consécutive au mouvement contre la loi Travail et aux Nuits debout, elle lance un appel à manuscrits sur le thème du travail. Les auteures sont ainsi invitées «  dans un monde aux mutations espérées et redoutées à la fois, [d’] anticiper et [de] projeter les devenirs possibles du Travail ». L’objectif : ne pas laisser aux seuls politiciens le soin de dire de quoi demain sera fait. La politique est chose publique et la fiction se doit de participer aux débats. Résultat, la publication d’Au bal des actifs. Demain le travail, douze nouvelles, plutôt sombres, qui nous mettent au défi de nous interroger à notre tour sur le devenir du travail.

Résolument ancrée dans les problématiques contemporaines, et forte du succès du premier opus, La Volte lance en 2019, quelques mois avant la pandémie de Covid-19, un appel à textes sur le thème de la santé. Succès garanti ! Plusieurs centaines de textes sont envoyés. Publié courant de l’année 2020 cet ouvrage comme le premier s’inscrit parfaitement dans notre contemporanéité. Faits intéressant, nombre de nouvelles traitent tout particulièrement de la notion de soin, alors que le ­prisme science-fictionnel aurait pu nous laisser croire à une compétition de délires futuristes autour de la santé automatisée, informatisée.

Prendre soin de nous-mêmes et des autres

À rebrousse-poil de ce que certains considèrent comme un mauvais penchant des littératures de l’imaginaire : science-fiction, dystopie, etc., de ne décrire que des futurs froids, effrayants, repoussoir, plusieurs des nouvelles ici réunies explorent tout au contraire notre capacité à prendre soin de nous-même, des ­autres et notamment des plus fragiles d’entre-nous. Avec Sauve qui peut. Demain la santé, La Volte poursuit avec brio son entreprise politico-éditoriale et sème de ces précieux petits cailloux dont nous ferons demain des pavés à lancer à la face du Vieux Monde.

La littérature est politique, ­l’imaginaire est politique et il est vital que celles et ceux qui savent mettre en mots leur pensée participent au débat public, au même titre que les scientifiques, pour solliciter notre esprit critique quant aux choix que nous voulons, et devons imposer, pour des lendemains qui chantent.

David (UCL Chambéry)

  • Collectif, Ceux qui nous veulent du bien. Dix-sept mauvaises nouvelles d’un futur bien géré, La Volte, octobre 2010, 348 pages, 18 euros.
  • Collectif, Faites demi-tour dès que possible. Territoires de l’imaginaire, La Volte, octobre 2014, 464 pages, 18 euros.
  • Collectif, Au bal des actifs. Demain le travail, La Volte, février 2017, 624 pages, 20 euros.
  • Collectif, Sauve qui peut. Demain la santé, La Volte, septembre 2020, 416 pages, 20 euros.

LE PETIT MONDE D’ALESSANDRO PIGNOCCHI

Nous avions envisagé une interview sur une pleine page, mais absorbé par la préparation d’un nouveau livre, il n’a finalement pas eu le temps de nous répondre…

On ne peut pourtant pas ne pas l’évoquer dans un dossier sur les imaginaires libertaires : Alessandro Pignocchi est chercheur en sciences cognitives et dessinateur, et ses bandes dessinées sont le fruit d’une démarche très originale !

Tout commence avec Anent, qui raconte avec humour son voyage à la rencontre des Indiens Jivaros, au cœur de la jungle amazonienne, dans les pas de Philippe Descola. On y apprend à quel point la distinction Nature/Culture est occidentale, donc construite. Car oui, il est possible de concevoir le monde tout à fait autrement. C’est ce que Pignocchi s’amuse à mettre en pratique dans son Petit Traité d’écologie sauvage, trois tomes qui nous plongent dans un monde qui pourrait être proche du nôtre…

Sauf que la perception animiste Jivaro y est devenue la pensée dominante. Les animaux, les plantes, ont le statut que nous accordons aux humaines. Dès lors, difficile de rentrer dans des logiques d’exploitation, de domination ou de surproduction. Cette démonstration par l’absurde fait beaucoup sourire et se révèle très efficace !

A lire aussi bien sûr, La Recomposition des mondes est un récit de son passage sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, où notre anthropologue amateur et militant montre comment en France, aujourd’hui, des personnes œuvrent déjà à créer des relations au vivant totalement dégagées des logiques capitalistes...

Mélanie (UCL Grand Paris-sud)

  • Ethnographies des mondes à venir (avec Philippe Descola), Seuil, septembre 2022, 176 pages, 19,50 euros.
  • Anent, Steinkis, janvier 2016, 151 pages, 16 euros.
  • Petit Traité d’écologie sauvage (3 tomes), Steinkis, mars 2017-janvier 2020, 150 pages, 16 euros chacun.
  • La Recomposition des mondes, Steinkis, avril 2019, 102 pages, 15 euros.
 
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