Écologie

Modes de lutte : Cultivons l’anarchie dans nos campagnes




Suite à la création d’un jardin collectif dans les Deux-Sèvres, des réflexions stratégiques ont émergé, prenant en compte les difficultés rencontrées. On parle de réappropriation des terres et de création de projets bénévoles relevant d’une propagande par le fait d’un autre genre.

Chaque révolution commence par de nouvelles fondations, la lutte écologiste ne fait pas exception. Contrairement à ce qu’en disent les capitalistes et les technocrates, l’écologie n’est pas un problème à résoudre à part, elle est intrinsèquement liée aux systèmes d’oppression sociale. Pour faire face à ces enjeux, la réappropriation et la mise en commun des terres est un élément essentiel.

C’est le constat de militants et militantes des Deux-Sèvres ayant monté un jardin collectif en zone rural. Cet article a pour but de partager les réflexions inspirées par ce projet mais aussi les difficultés que nous avons pu rencontrer.

Si notre mouvement révolutionnaire se concentre en majorité dans les grandes villes, des luttes prennent également place en milieu rural. C’est par exemple le cas des camarades qui par l’occupation des terres destinées à un « développement » font face aux grands projets inutiles. En effet, l’institution de nouveaux communs [1] est efficace lorsqu’elle se fait activement en opposition au modèle capitaliste. Mais dans des endroits où il n’y a pas de camarades ou très peu, ou que la terre n’est pas forcément destinée à être bétonnée ou vendue à des promoteurs, il faut trouver et inventer d’autres moyens de se réapproprier les terres, parfois moins conflictuelles.

Même si à première vue cela peut paraître contradictoire avec nos principes, en zone rurale il peut être essentiel de travailler avec les services de la commune et la mairie dans l’objectif de recréer des communs. Comme leurs homologues urbains, ces communes périphériques et rurales dépendent aussi de l’argent public pour leur fonctionnement, mais se retrouvent souvent à être les dernières loties lorsque l’Etat distribue ses fonds. C’est précisément ce manque d’investissement qui nous donne une opportunité de mettre en place des projets en phase avec nos aspirations militantes.

Créer de nouveaux communs

Les mairies et communes rurales sont souvent propriétaires de larges parcelles de terres qu’elles utilisent comme un stock financier, lorsque la commune a besoin d’argent, elle vend ces terrains à des investisseurs ou des particulières et particuliers.

En développant des réseaux alternatifs et gratuits, il sera possible de se prémunir face aux récupérations optentielles et autres magouilles.

Les militantes et militants qui vivent dans ces communes ont la possibilité de négocier avec la mairie la mise à disposition des terres pour la mise en place d’un « projet solidaire ». En pratique les terres doivent être mise en commun pour ensuite, à partir de là, lancer un mouvement au sein de la commune.

Hors de l’économie monétaire

Dans l’idée, par la création et la participation à des chantiers strictement bénévoles sur ces terres, il sera possible de produire des biens et des services entièrement gratuits, en dehors du système capitaliste de création de valeur. En commençant par répondre aux besoins de bases d’une partie de la population, alimentation, construction, énergie, etc. il est possible de créer un effet papillon local dans la communauté et de développer un environnement propice à la générosité.

Cette économie collective basée sur la coopération et la gestion commune des ressources peut prendre la forme d’un jardin collectif ou de chantiers participatifs. En renforçant les habitudes de dons et de récupération de matériaux, ces activités visent à rendre l’argent non pas interdit, mais inutile. A terme, la pérennisation d’un premier réseau non monétaire peut être envisagée.

Au-delà des bienfaits écologiques de la mise en place de tels projets – consommation de légumes de saison et locaux, réemploi, écoconstruction etc. – un des enjeux majeurs est la création et la diffusion d’outils de contre-pouvoir. Le contrôle sur la production de logement, alimentaire, et énergétique est un pilier qui constitue l’une des armes principales des états modernes en collusion avec les multinationales pour asseoir leur domination.

Sans étiquette

En développant des réseaux alternatifs et gratuits, il sera possible de se prémunir face aux récupérations potentielles et autres magouilles. La gratuité est un levier puissant car elle va à l’encontre de toutes logiques d’accumulation capitaliste. Il existe cependant plusieurs difficultés potentielles à relever pour ce type de projet rural.

Tout d’abord, les zones rurales sont moins propices aux projets ouvertement politiques, qui peuvent à faire fuir les gens ou n’attirer seulement ceux et celles qui sont déjà engagées. Dans l’objectif d’avoir un réel ancrage et donc un impact plus global il est nécessaire d’attirer les personnes moins politisées également, et donc, dans l’idéal, le projet doit promouvoir un anarchisme subtil.

Cela ne veut pas dire mettre en place un entrisme clandestin à la soviétique, l’objectif n’est pas de conquérir les appareils d’Etat. Il s’agit plutôt d’éveiller et d’encourager les principes anarchistes de base, qui pour certains bénéficient déjà d’une bonne presse, comme l’entraide par exemple, sans pour autant le dire explicitement. L’idée est essentiellement de mettre en pratique une activité anarchiste sans étiquette. Cette approche qui peut déranger certains camarades, permet en zone rurale à l’anarchisme de s’enraciner au sein d’une communauté dépolitisée, tout en mettant en place des projets qui bénéficient directement aux personnes, et bien sûr, ralentissent l’implantation de l’extrême droite.

Toutefois, dans un esprit anarchiste, le projet doit avant tout profiter aux personnes les plus précaires. Il est nécessaire d’être vigilant face à certains biais capitalistes qu’il est possible de conserver. Il est fréquent notamment lors de la mise en place d’un projet où l’argent disparaît de substituer la valeur monétaire par une autre mesure comme la quantité de travail. Il est primordial que les projets respectent ce principe du communisme  : « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », pour éviter de tomber dans les discours travaillistes qui polluent notre façon de penser aujourd’hui, et qui risquent de créer des tensions au sein du projet. Certaines personnes n’ont pas la capacité de travailler, cela est une réalité, et le projet anarchiste n’a donc pas seulement un objectif matériel, c’est-à-dire de produire ou rendre des services, il a aussi un but spirituel, qui est de purger la perception capitaliste du monde.

Garder le moral sans incitation monétaire est aussi une des difficultés auxquelles ces projets sont confrontés. Sans fonds, il est délicat de démarrer et de garder des bénévoles motivés. C’est en quelque sorte un microcosme préparateur pour le monde sans argent.

Réactiver l’entraide

Mais c’est justement pour cette raison qu’il est essentiel de d’abord travailler avec des associations caritatives locales et les mairies, non seulement parce que ces acteurs sont surement plus propices à l’idée de dons et partage des équipements, mais parce qu’elles constituent aussi une ancre qui offre une certaine régularité et stabilité au projet dans un monde ou le bénévolat n’est plus vu comme un instrument de militantisme pour une « cause », mais plutôt comme une occupation de notre temps libre.

Enfin, dans une perspective plus large, la création d’un réseau syndical de bénévoles peut constituer un objectif à plus long terme. Ce réseau non seulement donnerait une cohérence inter-locale à ce mouvement, mais pourrait également permettre d’échanger des matériaux, des connaissances et des produits entre les différents projets bénévoles, le tout gratuitement bien sûr.

La révolution anarchiste en zone rurale n’est pas forcément une question de lutte ouverte, surtout lorsqu’on aperçoit à quelle point les populations sont dépolitisées, mais elle devrait puiser là où l’eau existe déjà, c’est-à-dire réactiver les liens de solidarité ruraux préexistants.

Niels (UCL Angers)


UNE ÉCOLOGIE NON MARCHANDE

Au cœur de la stratégie décrite de remise en commun des terres et des ressources disponibles, l’accent est mis sur l’importance du don, de la gratuité et du bénévolat cela dans l’objectif d’une remise en cause radicale du système capitaliste et productiviste. Souvent la stratégie révolutionnaire oppose au système de production capitalise, la socialisation des moyens de production, pensée comme l’abolition des rapports hiérarchiques au sein de des unités de production. Cela a pu donner lieu a des luttes syndicales aboutissant à la création de SCOP, mais ces coopératives ne peuvent exister en dehors du rapport marchand.

D’autres encore réfléchissent à comment mettre en place des systèmes de distribution socialisé, comme la Sécurité Sociale Alimentaire cherchant ainsi à reprendre le contrôle sur ce qui est produit en essayant d’égaliser l’accès aux produits de première nécessité. Mais alors, est-ce que la multiplication et la mise en réseau de ce genre d’expériences productives bénévoles et écologiques, où le principe « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins » pourrait concrètement permettre de sortir la production du système marchand  ?

Ce qui est certain, c’est que le modèle proposé s’oppose directement à la création de valeur qui est un des fondements du modèle capitaliste, qui privatise et transforme tout ce qu’il peut en marchandise à valoriser et à accumuler. Mais en tant que femme, il est aussi très clair que ce n’est pas parce qu’un travail est réalisé gratuitement, sans objectif de production marchande, qu’il ne sert pas à la production et la reproduction du capital.

Mélissa (UCL Orléans)

[1Les biens communs, ou tout simplement communs, sont des ressources gérées collectivement par une communauté, celle-ci établit des règles et une gouvernance dans le but de préserver et pérenniser cette ressource.

 
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