Classiques de la subversion : « L’Établi »




Chaque mois, un livre qui a compté dans l’histoire des idées subversives.

En septembre 1968, Robert Linhart se rend quai de Javel pour s’embaucher chez Citroën. « Bon pour le service », il est affecté à l’usine de Choisy. Ce que « l’ordre Citroën » ne sait pas, c’est que Robert Linhart est un « ulmard », sortant de l’ENS, et un communiste prochinois, militant à la Gauche prolétarienne. Il a 25 ans et il fait partie de ces intellectuels qui rejoignent les usines, « établis » au cœur de la classe ouvrière. De cette expérience, il tire un récit autobiographique, L’Établi, publié en 1978.

En moins de 200 pages, Linhart fait une description saisissante des conditions de travail de ces manœuvres et OS, ouvriers non-qualifiés des « trente glorieuses », pour beaucoup immigrés. Il y a d’abord la chaîne bien sûr et son indéniable aliénation.

Ce corps qu’il faut contraindre au rythme de l’usine, c’est une des premières surprises de Linhart. L’organisation « scientifique » du travail se révèle ici pour ce qu’elle est : une oppression totale, physique, morale et intellectuelle. Mais les hommes ne sont pas des machines, s’ils portent sur eux les stigmates de l’usine, ils n’en sont pas moins des êtres dont la liberté suffoque sous la dictature de la chaîne.

Linhart détaille avec beaucoup de sensibilité ces moments volés à l’usine : là c’est le temps gagné qui permet de s’offrir une pause, ici un poste au rythme soutenu mais qui offre l’avantage d’être un bon poste d’observation.

De cette vie qui suinte de la condition ouvrière, le militant Linhart cherche à tirer de quoi combattre. Et il y arrive malgré le règne de l’arbitraire hiérarchique, du racisme et du syndicat jaune maison, la CFT, qui ne rechigne pas aux bastons. Car ce livre est aussi un livre de lutte dans lequel Linhart raconte « sa » grève. Et pas seulement la sienne, mais celle de travailleurs radicalisés pour qui 68 a marqué le départ d’une insubordination ouvrière assumée : ici, la création d’un comité de base, « à côté » de la CGT, puis la grève « pour la dignité », dont l’organisation est minutieusement narrée, qui démarre le 17 février 1969.

À travers la lutte, Linhart fait le portrait de figures ouvrières : Primo, le sicilien pugnace, Christian, le Breton tuberculeux des sièges, Sadok, l’Algérien de la soudure, Simon, le manœuvre à la tête de vieux prof, Georges, le yougoslave du carrousel des portières.

À tous ces hommes, Linhart n’a pas dissimulé son « établissement ». « L’Ordre Citroën » le découvre, lui, en juillet et licencie Linhart. Reste l’arme de l’écrit. Linhart sait que « les bourgeois s’imaginent toujours avoir le monopole des itinéraires personnels ». L’Établi dit tout le contraire : Primo, Georges… tous vivent et luttent. C’est une de ces œuvres, d’une valeur inestimable pour les révolutionnaires, qui est tant une charge aiguë contre l’oppression, qu’un bréviaire de liberté.

Théo (AL Vendôme)

 Robert Linhart, L’Etabli, 1978

 
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