Syndicalisme

Comité social et économique : Le dialogue social en difficulté




Les ordonnances Macron de septembre 2017 ont fusionnées les trois principales instances du personnel dans une seule entité, le comité social et économique (CSE). Cette «  simplification  » a eu pour conséquence une surcharge importante du travail des déléguées dont les missions les éloignent des réalités du terrain.

En septembre 2017, les ordonnances Macron sur le Code du travail mettent fin à trois instances de représentation du personnel, créées en 1936 – les déléguées du personnel (DP) –, en 1945 – les comités d’entreprise (CE) et 1982 – les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Elles ont maintenant été regroupées en une instance unique : le comité social et économique (CSE).

Le syndicalisme de dialogue social s’inquiète

Les conséquences de ces ordonnances sont radicales : les représentants et représentantes du personnel, désormais moins nombreuses, sont débordées par la hausse des sujets à traiter. Cette surcharge de travail est également accrue par la baisse globale des heures de délégation.

En outre, la disparition des CHSCT tend à diminuer la place des questionnements sur la sécurité et les conditions de travail dans l’action des élues. Enfin, les représentantes de proximité (RP) qui peuvent être installées ne parviennent pas à remplacer les fonctions des déléguées du personnel. Cela entraîne un recul des réclamations individuelles et collectives. L’ensemble de ces tendances contribue à éloigner les élues du personnel des autres salariées.

Un premier bilan des ordonnances de 2017 a été fait auprès de 245 000 entreprises de plus de dix salariées [1]. Ainsi, la part des entreprises avec un ou une déléguée syndicale est en chute constante, alors qu’elle était stable entre 2012 et 2018. Il en va de même pour celle des entreprises possédant une instance représentative du personnel.

Même la CFDT, qui avait approuvé les ordonnances Macron, constate qu’elle-même est mise en difficulté dans sa position de syndicat du dialogue social. En 2022, elle a adressé onze propositions au ministère du Travail pour réformer leur contenu, sans remettre en cause l’existence du CSE.
Un de ses secrétaires nationaux  [2] a fait part de ses « grandes craintes sur la capacité des organisations syndicales à renouveler les CSE », car « le mandat de représentant du personnel élu au CSE n’est pas attractif ».

Des chercheurs et des chercheuses ont conclu dans le même [3], en mettant en évidence plusieurs éléments. Leur travail indique notamment que le mandat de RP n’a pas reçu d’écho important dans les entreprises, et qu’il n’a été que peu investi.

La question de la proximité entre les représentantes du personnel et les salariées est un enjeu pour le syndicalisme de dialogue social. Mais elle l’est aussi pour le syndicalisme de lutte. Pour lui, la représentation du personnel n’est pas le principal lieu de l’activité syndicale. Cependant, elle constitue un outil, limité mais utile, pour la mobilisation des salariées.

Avant même la création du CSE, plusieurs tendances négatives existaient. Le mandat de DP, le plus proche du personnel, perdait de son importance. Les membres du CE se retrouvaient déjà noyées sous les ordres du jour démesurés des réunions, ces dernières accaparant tout leur temps syndical. La multiplication des CE couvrant un vaste périmètre géographique contribuait déjà à éloigner les élues du contact avec leurs collègues.

De grandes entreprises avaient en outre créé des instances diverses et variées de consultation, multipliant donc les temps de réunion. Les déléguées s’obligeaient déjà à y aller afin d’avoir «  toutes les informations  », bien souvent dans le cadre d’une concurrence intersyndicale, y compris entre syndicats de lutte  !

Quelle réaction du syndicalisme de lutte ?

Tout cela est connu et s’exprime régulièrement dans les assemblées syndicales. Si certaines de ces dérives sont le fruit d’une stratégie patronale, d’autres sont la conséquence des pratiques du syndicalisme de lutte lui-même. Il ne tient qu’à lui à contrer cette stratégie qui tend à l’intégrer dans le dialogue social.

La CFDT, expression même du syndicalisme de dialogue social, est très loin d’être un syndicat de masse. Elle est pourtant devenue, deux fois de suite, le syndicat le plus voté par les salariées.

Le moment n’est-il pas venu de mettre à l’ordre du jour cette question des instances de représentation du personnel, de leur sens et leurs limites pour le syndicalisme de lutte ?
D.R. EMMANUEL CATTIER

Notre syndicalisme de lutte a-t-il vraiment pris en compte ce que cette tendance signifie  ? Certaines de ses pratiques et l’image qu’il renvoie aux salariées tracent-elles une alternative claire au dialogue social  ? La place de la CFDT (à laquelle il est possible d’associer CFTC, UNSA et CFE-CGC), dans un cadre d’affaiblissement général du syndicalisme en France, est-elle vraiment le reflet d’un soutien au type de syndicalisme porté par cette structure ?

Le moment n’est-il pas venu de mettre cette question des instances de représentation du personnel, de leur sens et leurs limites pour le syndicalisme de lutte, à l’ordre du jour des assemblées générales et des congrès syndicaux  ?

Contenu des formations syndicales, liens des élues du personnel à l’activité de leur syndicat et de leur union locale, problème de la professionnalisation des syndicalistes, pratiques syndicales dans les CSE  : la liste est longue de thèmes à débattre sur le fond.

Il est temps de prendre des décisions courageuses pour refuser le poison du dialogue social et tout ce qui tend à y amener, contribuant ainsi à construire et à visibiliser une stratégie claire de syndicalisme de masse, de lutte et de classe.

Michel (UCL Vosges)


LE SYNDICALISME DE DIALOGUE SOCIAL

C’est un syndicalisme d’accompagnement, de recherche systématique d’un terrain d’entente
avec le patron, d’un donnant-donnant. Globalement, il accepte les reculs demandés par l’employeur,
en contrepartie, éventuellement,
de miettes pour les salariées.
Il se focalise sur l’action et la présence dans les institutions de représentation
du personnel. Il vise avant tout à éviter
la mobilisation et le rapport de forces, sans refuser parfois d’y participer.
Mais pour jouer ce rôle sur les lieux
de travail, il a besoin d’une certaine légitimité. Il lui faut des moyens
pour que les aspirations des salariées
et leurs colères soient entendues,
puis canalisées et édulcorées en étant ramenées vers le CSE. Il s’agit de faire jouer à ce dernier le rôle de délégation de pouvoir. En France, la plus importante organisation syndicale du dialogue social est la CFDT.

[1Résultats n°32, Dares, 12 juillet 2022.

[2Entretien avec Philippe Portier dans Semaine Sociale Lamy n°2007, du 4 juillet 2022.

[3Entretien avec Cyril Wolmark dans Semaine Sociale Lamy n°2000, du 16 mai 2022.

 
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