Politique

Coronavirus et complotisme : Les habits rapiécés de l’antisémitisme




Sur les réseaux de «  réinformation  » ou pendant certaines mobilisations contre le pass sanitaire, ces trente derniers mois ont été marqués par de nombreuses expressions explicites d’antisémitisme. Car loin d’avoir disparu après 1945, l’antisémitisme français est malheureusement toujours présent.

En raison de l’ampleur des bouleversements sociaux et politiques qu’elles provoquent, les épidémies sont souvent des périodes de crises où le racisme explose. La pandémie actuelle ne fait pas figure d’exception comme nous le relevions déjà en avril 2020 face à la recrudescence d’actes et propos haineux envers les personnes d’origine asiatique. Et tout comme les variants du virus se sont multipliés, les discours antisémites ont proliféré sous de nombreuses formes.

La pandémie de Covid-19... et de racisme

Ainsi, avant même le premier confinement, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, son mari immunologiste Yves Lévy, ancien directeur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, et le directeur de la Santé Jérôme Salomon ont été la cible d’attaques virulentes sur Internet par des complotistes. Leur tort  ? Leur judéité. Les accusations vont bon train  : les deux auraient censuré les résultats du pauvre professeur Raoult – quasi Jésus des temps modernes – sur la chloroquine, Lévy aurait participé à l’inauguration du laboratoire de Wuhan d’où serait sorti le virus tandis que Salomon aurait sciemment liquidé le stock de masques... Pire encore, plusieurs montages représentant Agnès Buzyn avec un nez crochu, parfois versant du poison dans un puits, ont été assez largement relayés dans les marais puants d’extrême droite de Twitter ou de Facebook. Bref, rien de nouveau chez les antisémites qui ne font que réactualiser la vieille accusation des empoisonneurs de puits datant du Moyen-Âge.

Pendant le premier confinement, une nouvelle rumeur antisémite, renouvelée au second, s’ajoute aux précédentes  : alors que les conditions sanitaires amènent à la fermeture des lieux de culte, des vidéos circulent affirmant que contrairement aux églises, les synagogues (et aussi les mosquées pour certains islamophobes) auraient eu le droit de rester ouvertes. À cette polémique, suit de près celle d’une «  autorisation  » pour les personnes juives de sortir sans attestation pour Shabbat. Bien que rien de tout cela ne soit vrai et malgré l’annonce du grand rabbin de France Haïm Korsia, le 18 mars, sur la fermeture des synagogues, il n’en faut pas plus aux antisémites pour dénoncer le «  philosémitisme  » de l’État qui serait soumis aux intérêts «  d’Israël  » (entendre les personnes juives).

Le lien entre antisémitisme et conspirationnisme sanitaire est ancien.

Il ne faut pas être leurré par cette absence de logique factuelle. Les complotistes, de manière générale, n’en ont jamais eu besoin. Après tout, pas besoin d’être idéologiquement cohérent quand on a plusieurs siècles d’antisémitisme structurel derrière soi  ! Ce ne sont pas tant les «  preuves  » qui les motivent que le sentiment général que quelque chose a bouleversé le statu quo de la société, devenue trop complexe.

Si certains constats peuvent sembler vrais en apparence (ici, la gestion catastrophique et autoritaire du coronavirus par le gouvernement), toute possible sympathie doit s’arrêter là. Pour une grande partie des propagateurs de ces théories, le véritable problème de la pandémie n’a pas été le sacrifice de notre santé, imposé par l’État et la classe capitaliste pour sauver leurs profits, ou ses 18 millions de morts, mais le simple fait qu’elle ait bouleversé nos vies depuis 2020. «  La liberté avant tout  !  » Il suffit d’entendre les élucubrations sur les « coronafolies » ou les appels à lever presto toute restriction sanitaire, quitte à laisser mourir toutes les personnes à risque qui «  seraient mortes dans l’année de toutes façons  », pour comprendre qu’il ne s’agit ici pas d’une colère mal dirigée mais bien une expression réactionnaire mortifère.

Cette déstabilisation de l’ordre établi est vue comme absolument intolérable. Et qui d’autres que les Juifs et Juives, bouc-émissaire par excellence au pouvoir mythifié depuis des siècles pour le réactionnaire de base, pourraient être à l’origine d’un tel bouleversement  ? Et bien que certaines théories ne versent pas nécessairement dans l’antisémitisme ou sont parfois portées par des gens qui en ignorent le double sens, il est difficile d’ignorer qu’elles en reprennent le plus souvent les habits  !

Contre la fièvre complotiste, tolérance zéro

Le lien entre l’antisémitisme et le conspirationnisme sanitaire est ancien et les trublions avaient déjà bien préparé le terrain en amont, la pandémie et la gestion autoritaire, hors-sol et désastreuse du gouvernement leur ayant offert une occasion en or pour exploser en visibilité.

Le plus grand danger des complotismes sanitaires est qu’ils sont le cheval de Troie de la réaction. Aucune couche de la société ou partie du spectre politique n’étant naturellement immunisées à l’antisémitisme, les théories du complot peuvent y prendre racine puis s’y développer en bourgeons antisémites si nous manquons de vigilance. Il est difficile de nier que la simplicité manichéenne d’explication du monde qu’elles apportent peuvent être attrayantes et donc séduire des personnes, pourtant pas antisémites à l’origine, particulièrement face au tel séisme existentiel qu’est la pandémie actuelle.

Si le coronavirus reprend bien à l’automne, ou si une nouvelle pandémie pointe le bout de son nez à l’avenir, notre riposte devra être de mise, particulièrement si la réponse étatique continue à être aussi mauvaise. Un simple « débunking » ne suffira pas pour s’opposer aux discours complotistes antisémites ou pour convaincre les personnes désemparées par la pandémie de ne pas les écouter.

Seule une réaction collective forte pourra inoculer notre classe contre ce poison. Elle devra aussi bien passer par la promotion d’un contre-discours de solidarité qui offre une vraie réponse matérialiste face à la pandémie et à la pensée individualiste, validiste, complotiste et antisémite, que par des pratiques concrètes de prévention, d’information et de réduction des risques. Les luttes passées comme actuelles contre d’autres épidémies (VIH, addictions...) doivent à ce titre nous inspirer.

Pour une véritable auto-défense sanitaire aussi bien contre les maladies... que contre les antisémites !

Commission antiracisme de l’UCL


UN COMPLOT DE JUIFS ET JUIVES NAZIS  ?

La mise en place progressive du Pass sanitaire à partir de l’été 2021 ouvre une nouvelle séquence que nous avions analysé en septembre 2021  : une fois de plus, un petit groupe de personnes (le tristement célèbre «  Qui  ?  ») tirant les ficelles dans l’ombre était régulièrement dénoncé par les militantes d’extrême droite qui avaient investi, voire impulsé certaines manifestations antipass.

Outre ce dog-whistle rapidement, et correctement, identifié comme antisémite, on a également vu fleurir
de nombreux parallèles avec le nazisme  : les mesures sanitaires traiteraient les non-vaccinées comme les nazis traitaient les Juifs et Juives  ! Cette comparaison odieuse, loin d’être un signe de «  compassion  » avec les victimes du nazisme, démontre au mieux une mécompréhension totale de la Shoah, folklorisée et vue comme
le résultat violent d’une simple politique de stigmatisation dont la cible aurait été choisie presqu’au hasard par les nazis pour mieux arriver au pouvoir et non pas comme l’effroyable aboutissement de siècles d’antisémitisme européen, et au pire une expression radicalement antisémite  : « ne nous traitez pas comme des Juifs et Juives ! »

Face à tous ces conspirationnismes, on ne peut être que frappé par leur apparente contradiction. Comment expliquer que les mêmes cercles puissent affirmer en même temps que le virus est une supercherie orchestrée par les «  mondialistes  » et qu’il est une arme biologique fabriquée en laboratoire par les mêmes  ? Comment comprendre que ces personnes puissent dénoncer, de manière implicite, un complot juif et s’identifier aux Juives et Juifs sous le nazisme  ?

 
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