Écologie

Landes : La monoculture sent le sapin




Suite aux incendies de cet été, la forêt des Landes est défigurée pour plusieurs décennies. Si les records de chaleur, la sécheresse et le dérèglement climatique sont à raison pointés du doigt, l’exploitation capitaliste de la pinède en monoculture ne doit pas être oubliée.

Le 12 juillet, deux départs de feu sont signalés respectivement sur les secteurs de La Teste de Buch et de Landiras dans le département de la Gironde. Rapidement, la pinède s’embrase et plusieurs dizaines d’hectares partent en fumée. Il faudra plus de 2 000 pompiers, six avions canadairs, trois dash et plus de dix jours avant qu’une baisse des températures permette de maîtriser et fixer ce que l’on enregistrera comme l’un des plus importants incendies de forêt que la France ait connu jusque là  : plus de 21 000 hectares brûlés, plus de 35 000 personnes évacuées, une faune sauvage décimée, des fumées jusqu’à Paris et un massif forestier défiguré pour plusieurs décennies.

De l’aveu même du commandement des secours sur place, la configuration, la puissance et l’étendue de ces incendies sont inédites. On peut entendre que, le 19 juillet, alors que le département enregistre plusieurs records de températures, au delà des 42°C, les feux ont «  littéralement explosé  ».

Napoléon III impose l’expropriation

Les pompiers constatent un front de flammes de plusieurs kilomètres, des sautes de feu sur plus de 200 mètres, des troncs de pins âgés de 20 ans qui explosent sous la chaleur de l’incendie et un feu qui crée son propre système de vent avant de s’enterrer dans la tourbe des landes pour y couver pendant encore plusieurs mois, en témoigne la reprise de cet incendie le 9 août. Si le réchauffement climatique est le coupable le plus visible, derrière les températures caniculaires et une sécheresse record se cache une exploitation forestière à visée purement capitaliste et dénuée de toute logique environnementale.

En effet, la forêt des Landes est composée à plus de 80 % de parcelles privées d’exploitation de pins maritimes en monoculture et il faut remonter à l’époque de Napoléon III pour en trouver l’origine et les justifications. Soumise à l’activité humaine à partir du Néolithique final, la forêt primaire et diversifiée des landes laisse peu à peu place à un vaste espace marécageux et insalubre. Malgré plusieurs tentatives de cultures de riz ou de tabac, la lande reste une terre de paysannerie jusqu’à la moitié du XIXe siècle.

Du haut de ses emblématiques échasses, le berger landais pratique l’élevage ovin et cultive le millet ou le seigle sur de petites parcelles pour produire du pain. Tout ceci s’arrête le 19 juin 1857 lorsque Napoléon III décide, par la loi dite relative à l’assainissement et à la mise en culture des Landes de Gascogne, de boiser massivement l’ensemble de la lande avec l’unique essence du pin maritime. Officiellement, l’objectif est d’améliorer les conditions d’hygiène mais, dans la réalité, il s’agit de contribuer à l’effort capitaliste de l’Empire colonial français. Ce dernier a besoin de bois, de térébenthine, de colophane, tout ce qu’une forêt de pins peut lui fournir.

La loi de 1857 privatise les communaux, exproprie les ouvriers, les métayers et met aux enchères des surfaces considérables de terres qui seront accaparées par une bourgeoisie locale faite de professions libérales et de rentiers. Les premiers conflits éclatent et les éleveurs, soutenus par l’ensemble d’une population attachée au modèle agropastoral, mettent le feu aux premières plantations de pins. De 200 000 hectares de forêt majoritairement naturelle ou de renforcement des dunes au début du XIXe siècle, les Landes approchent aujourd’hui le million d’hectares.

Les conséquences de plusieurs centaines de milliers d’hectares d’exploitation de pin maritime en monoculture sont connues depuis longtemps. La culture intensive et unique d’essence résineuse a pour effet d’augmenter l’acidité et de favoriser la podzolisation des sols. Sur une étendue aussi vaste que l’Ile-de-France, hormis de la fougère et du pin, presque rien ne pousse et presque rien ne vit sur une profondeur d’un mètre.

Un écosystème à réinventer

Dans cet écosystème appauvri, le pin maritime se retrouve la cible de maladies et d’insectes, il est régulièrement traité au glyphosate par de nombreux sylviculteurs si bien que les départements des Landes et de la Gironde sont parmi les plus pollués de France. Cette monoculture de résineux représente également un risque accru et connu de propagation du feu lors des incendies, sans compter la situation géographique des Landes asséchée par le climat local et balayée par les vents océaniques d’ouest. Ainsi, il n’a pas fallu attendre les effets du réchauffement climatique pour que cette forêt brûle sur plus de 60 000 hectares et fasse 82 victimes en 1949.

Les pompiers constatent un front de flammes de plusieurs kilométres, des sautes de feu sur plus de 200 métres, des troncs de pins âgés de 20 ans qui explosent sous la chaleur de l’incendie.

Au milieu de cet océan artificiel, la forêt usagère de La Teste de Buch fait figure d’exception. Mais son statut particulier issu du XVe siècle étant de plus en plus mis à mal par l’absence d’entretien et par les conflits permanents entre «  ayants-pins  », propriétaires de parcelles, et les usagères et usagers, ne permettront pas à cette forêt millénaire d’échapper à la catastrophe de juillet 2022. Pire, cette situation dramatique sera l’occasion pour la droite réactionnaire de cibler un prétendu coupable tout trouvé  : des élues écologistes locaux qui se seraient opposés à l’aménagement de pistes d’accès pour les pompiers. Les complotistes de tous bords tenteront eux d’établir un lien entre cet évènement et un projet de création d’un parc solaire de 1 000 hectares... 20 km au nord de la zone incendiée de Landiras.

Les enseignements de la catastrophe du 19 août 1949 n’ont pas été entendus et ne suffisent clairement plus à endiguer le risque de «  mégafeu  » qui menace ce territoire. Multiplier les pistes d’accès pour les pompiers est dérisoire lorsqu’un feu de cime ravage 5 000 hectares en moins de 12 heures, l’équivalent de dix terrains de foot par minute. Respecter la largeur des pare-feux fixée par la loi, la longueur de deux pins couchés, soit 60 mètres, ne fait pas le poids face à une saute de feu capable de parcourir 200 mètres.

Multiplier les canadairs ne suffit plus lorsque des troncs explosent sur un front de plusieurs kilomètres de long et sur des hauteurs de flammes dépassant les 60 mètres. Il devient urgent voire vital de repenser totalement l’écosystème de la forêt des Landes de Gascogne et sa prévention aux risques incendies, d’attribuer les moyens que les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) réclament depuis plusieurs années, de stopper immédiatement la monoculture de pin maritime, de favoriser le retour à une biodiversité et d’exproprier les propriétaires sylviculteurs qui tirent profit de cette terre en la détruisant.

Gaëlle (UCL Bordeaux)

 
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