Défense des retraites : Sur la ritournelle des “directions-syndicales-qui-trahissent”

Certains courants autonomes ou léninistes dénoncent perpétuellement la trahison des « directions syndicales » (amalgamées en un tout homogène). Ce systématisme pseudo-radical plombe la vraie critique et instille un poison paralysant pour les luttes.
Le 19 janvier 2023, la lutte contre la réforme des retraites est lancée par une intersyndicale nationale allant des syndicats combatifs (CGT, Solidaires) aux syndicats cogestionnaires (CFDT, CFTC, CGC) en passant par les plus ambivalents (FO, Unsa, FSU).
Dès lors, dans certaines franges militantes autonomes et trotskistes, on prophétise la trahison inéluctable. Une 2e date est posée la semaine suivante : « Trahison ! ». Les vacances scolaires arrivent : « C’est bon, cette fois elles vont trahir. »
Pour les 7 et 8 mars, CGT et Solidaires appellent à mettre la grève reconductible à l’ordre du jour des AG. Sauf que les AG restent maigres et, en conséquence, les grèves ne s’enracinent pas et déclinent vite. Après le 49-3, la tension monte, les violences policières se multiplient. L’intersyndicale, cependant, n’appelle pas à l’émeute. Résultat : « Trahison ! Ils sont contre le mouvement ! »
Le problème est que cette rhétorique préfabriquée n’est pas valable en toute circonstance. Contrairement à ce qui s’est passé durant le mouvement social de l’été 1953 [1], les « directions syndicales » n’ont rien eu à « trahir » cette année. Le prolétariat ne s’est hélas guère montré plus radical qu’elles.
Sinon, il serait venu en assemblée général pour l’exprimer ; les grèves seraient parties en feu d’artifice ; elles auraient débordé l’intersyndicale ; les bureaucraties CFDT, Unsa ou autres auraient alors sans doute paniqué, freiné, trahi, et il aurait fallu le dénoncer... Mais voilà : tout ceci n’est pas advenu. Dire que les « directions syndicales » sont systématiquement à droite de leur base, c’est bien mal connaître l’état de notre classe.

En fait, quand on ne cesse de seriner que « les directions syndicales trahissent », même quand elles ne le font nullement, on dissuade les gens d’agir. Comme l’écrivent de leur côté les Comités syndicalistes révolutionnaires, « utiliser le schéma du bureaucrate bouc émissaire nous amène depuis des décennies dans une impasse politique marquée par un repli sur soi d’individus paranoïaques se sentant constamment trahis ». À force, on se tire une balle dans le pied.
Il semble qu’il y a une épidémie, dans les milieux militants, qui consiste à appeler à la grève générale tous les matins, à appeler à « s’organiser à la base » tous les soirs, mais qui ne conduit pas à se décarcasser pour amener ses collègues de taf en AG. Il est plus facile et rapide de tenir, hors du lieu de travail, des AG prétendument « interpro » entre convaincu·es.
Si on veut éviter d’être dans un schéma descendant, à attendre le mot d’ordre des « directions syndicales », encore faut-il s’organiser pour faire sans elles.
Alors faisons vivre un syndicalisme de lutte, vivant, de base. C’est cela –et non l’intersyndicale nationale– qui permettra des grèves reconductibles et des AG massives et souveraines, sans lesquelles aucune auto-organisation des travailleuses et travailleurs, prélude à l’autogestion, n’est possible.
Judi (UCL Caen)
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