Culture

Lire Hadjadji : « No Crypto. Comment Bitcoin a envoûté la planète »




Alors que les crypto-actifs (souvent mal nommés « cryptomonnaies ») servent concrètement, et malheureusement très efficacement, de véhicule de dissémination à l’idéologie libertarienne et de propagation d’une pensée économique très réactionnaire, trop peu de gens sont activement en lutte contre cette industrie, qui profite du flou laissé par la technique pour duper le grand public, et de la mode du solutionnisme technologique pour séduire les dirigeants.

Jusqu’à fin mai 2023, il n’y avait pas encore d’ouvrage de référence, un minimum critique, en français sur le sujet. C’est enfin le cas avec No Crypto. Comment Bitcoin a envoûté la planète, de Nastasia Hadjadji.

Dès l’introduction l’autrice situe son propos  : « Ce livre propose une lecture politique des crypto-actifs ancrée dans la Théorie Critique d’Internet, une discipline des sciences sociales qui met en lumière les structures de pouvoir qui s’expriment à travers le code et les technologies, en insistant sur la place de l’idéologie dans la diffusion de ces objets ». Oui, le sujet des crypto-actifs est politique, et doit être traité comme tel. Ceux et celles pour qui ce n’est pas une évidence en seront convaincues par l’autrice au fil des six chapitres que comporte l’ouvrage et dont les titres laissent peu de place à l’ambiguïté  : « Le culte de Bitcoin », « Les racines d’une e-déologie », « L’âge d’or de l’arnaque », « Le désastre écologique », « Crypto-colonialisme et inclusion prédatrice », et pour finir de planter le clou  : « Politique du Bitcoin ».

En effet, No Crypto est un ouvrage complet, qui va de l’analyse sociologique des utilisateurs et utilisatrices des crypto-actifs jusqu’à l’analyse politique des principes intrinsèques au fonctionnement des technologies sous-jacentes, en passant par des analyses approfondies des usages qui en sont faits, à tous les niveaux  : économique (arnaques), écologique (énergie et pollution), social (inclusion prédatrice), géopolitique (néo-colonialisme).

Le dernier chapitre est en quelque sorte une forme condensée et mise à jour du livre de 2016 de David Golumbia, The Politics of Bitcoin, Software as Right-Wing Extremisn, dont je recommande également la lecture.

Agréable surprise pour les libertaires, contrairement à la plupart des travaux critiques sur les crypto-actifs, ici l’autrice dit explicitement que la dichotomie présentée dans les discours des crypto-adeptes entre un État autoritaire et un marché libre dérégulé est une « alternative simplificatrice » qui sert à « éluder le fait que l’on peut tout à la fois critiquer la coercition organisée par les États et l’industrie des cryptos ». Nastasia Hadjadji montre effectivement très bien dans son livre les accointances des États capitalistes avec l’industrie des crypto-actifs au même titre qu’avec le reste de la finance, dont cette industrie ne se démarque finalement pas vraiment, si ce n’est en poussant à leur paroxysme ses concepts les plus pernicieux…

Ce n’est pas au lectorat d’Alternative libertaire qu’on va l’apprendre  : une émancipation réelle n’est pas permise sans se défaire pour de bon de toutes formes d’autorités imposées, que ce soit par un État ou par une puissance privée à travers un marché. Par définition, s’émanciper nécessite en effet de se défaire de tout asservissement, quel qu’il soit. Refuser le monde ultra-individualiste de compétition sauvage promis par les technologies basées sur des blockchains ne veut pas dire faire l’apologie du système bancaire capitaliste, et ça ne veut certainement pas dire non plus faire l’apologie de l’État. En tant que libertaires, il nous est indispensable de lutter contre cette fausse dichotomie systématiquement présente dans les discours des crypto-adeptes. La lecture de No Crypto vous donnera tous les outils pour argumenter dans ce sens.

Pablo (UCL Saint-Denis)

  • Nastasia Hadjadji, No Crypto. Comment Bitcoin a envoûté la planète, Divergences, 2023, 220 pages, 16 euros.
 
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