Dossier Révolution haïtienne : À Paris, les parlementaires courent derrière les événements




Il fallait de quatre à six mois pour que les nouvelles traversent l’Atlantique. Et que l’évolution des rapports de force à Saint-Domingue se répercute sur les débats à l’Assemblée. L’inverse était moins vrai…

En mai 1789, les États généraux ouvrirent, en France, l’ère des arènes parlementaires. Le puissant lobby colonial y fut combattu par une minorité de députés anti-esclavagistes... Jusqu’à ce que l’insurrection des esclaves tranche le débat.

Le lobby pro-esclavagiste. En son sein, deux sensibilités, séparées par un différend commercial  : d’un côté les premiers députés de Saint-Domingue, colons blancs réclamant une redéfinition des règles douanières à leur avantage  ; de l’autre le club de l’hôtel Massiac, représentant les armateurs, négociants portuaires et propriétaires résidant en France, s’opposant, eux, à cet « autonomisme ». Le club Massiac, plus puissant, plus avisé, pouvait compter sur des députés influents comme Barnave et Lameth, et sur un idéologue très au fait des réalités domingoises : Moreau de Saint-Méry. Après l’abolition de l’esclavage, en 1794, le club sera interdit et ses membres poursuivis.

Antiracistes et abolitionnistes. Quelques députés étaient membres de la Société des amis des Noirs, fondée en 1788 : Brissot, Mirabeau, l’abbé Grégoire, Lafayette, Condorcet… Ils s’appuyaient sur la Déclaration des droits de l’homme de 1789 pour réclamer l’égalité des droits entre Blancs, Noirs et Mulâtres libres. Ils plaidaient aussi pour l’interdiction de la traite qui, pensaient-ils, entraînerait l’extinction progressive de l’esclavage. Cette idée, qui passait pour avancée en 1789-1790, devait être complètement dépassée dès lors que la révolte des esclaves allait poser la question de la « liberté générale » immédiate.

Tergiversations. Jusqu’au tournant de 1792, la majorité des députés écoutaient tantôt le club Massiac, tantôt les Amis des Noirs, sans opinion définitive, alternant avancées et reculs. Ainsi, en mai 1791 ils votèrent l’égalité civique pour les Mulâtres libres de la deuxième génération  ; en septembre, ils révoquèrent le décret. L’insurrection des esclaves changea tout. Pour la mater, il fallait resserrer les rangs des libres : ce fut la loi du 4 avril 1792 qui établit l’égalité civique entre Blancs, Mulâtres et Noirs libres.

Après la loi d’égalité civique du 4 avril 1792, des députés de couleur furent élus à l’Assemblée nationale.
Dessin de Jean-Baptiste Lesueur/musée Carnavalet

Abolition. Au mois d’août 1793, acculées, les autorités républicaines à Saint-Domingue proclamèrent la « liberté générale », dans l’espoir de rallier la masse des Africaines et Africains esclavisés face à leurs ennemis anglais, espagnols et royalistes. Six mois plus tard, à Paris, la Convention, médusée, écouta les trois nouveaux députés de Saint-Domingue – un Blanc (Dufay), un Mulâtre (Mills) et un Noir (Belley) –, fraîchement débarqués, raconter le cours qu’avaient pris les événements dans la colonie. Les députés votèrent alors, à l’unanimité et sous les acclamations, l’abolition de l’esclavage non seulement à Saint-Domingue, mais dans l’ensemble des colonies françaises. C’était le 4 février 1794, dans un de ces moments d’euphorie dont la Convention avait le secret, mêlant noblesse des idéaux et intérêts bien compris : « C’est aujourd’hui que l’Anglais est mort », s’exclama Danton.

Cartes à jouer républicaines, célébrant l’abolition de l’esclavage de 1794.
« Égalité de couleurs », « égalité de rangs ». BNF

Suites. À la faveur d’une résurgence royaliste, le lobby colonial se reconstitua dans les assemblées parlementaires du Directoire (1795-1799) autour de Villaret-Joyeuse et de Vaublanc qui, en mai 1797, prononça une diatribe violemment raciste et pro-esclavagiste. Face à eux se dressait principalement le groupe multicolore des députés des colonies, comptant entre autres Belley, le général Laveaux, Sonthonax et le Martiniquais Étienne Mentor, futur aide de camp de Dessalines.

Réaction. Le coup d’État de Bonaparte, fin 1799, mit fin au parlementarisme. Le Corps législatif, dont les députés étaient sélectionnés par le pouvoir, ne fut plus qu’une chambre d’enregistrement des décisions du Premier Consul. De surcroît, les colonies n’étaient plus représentées dans cette assemblée, ce qui élimina tous les députés noirs et mulâtres. Dans ces conditions, le 20 mai 1802, le Corps législatif approuva le rétablissement de l’esclavage. Il se trouva néanmoins encore 63 députés sur 274 pour voter contre.

Guillaume Davranche (UCL Montreuil)

Jean-Baptiste Belley (1747-1805), esclave affranchi, fut élu député de Saint-Domingue fin 1793. En février 1794, avec ses collègues Mills et Dufay, il expliqua à la Convention comment l’esclavage avait été aboli dans la colonie depuis août 1793. L’Assemblée vota alors l’extension de l’abolition à l’ensemble des colonies françaises.
Portrait par Girodet-Trioson (1798), devant une statue de l’abbé Raynal, adversaire de l’esclavage.

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