Dossier Révolution haïtienne : Une société structurée par la « barrière de couleur »




À Saint-Domingue, la ségrégation était fondée sur trois «  races  » officiellement reconnues, elles-mêmes traversées de hiérarchies sociales.

En 1789, la partie française de Saint-Domingue comptait 560.000 habitantes et habitants, répartis entre les trois « races » officiellement reconnues : noire (500.000, soit 89 %), mulâtre  [1] (30.000) et blanche (30.000). La partie espagnole, Santo Domingo, était deux fois plus vaste et cinq fois moins peuplée : 15.000 Noires esclavisées, 65.000 Mûlatres, 25.000 Blanches. Côté français, de nombreuses lois raciales, au-delà du bien connu Code noir, régissaient l’inégalité des droits entre les trois catégories.

Les Noires étaient alors, à plus de 90%, esclavisées. Près des deux tiers étaient des bossales, c’est-à-dire des Africaines et Africains – bantous en majorité – qui avaient jadis connu la liberté, mais avaient été réduites en esclavage, puis vendues aux négriers dans le golfe de Guinée et déportées aux Antilles. À Saint-Domingue, les Noires libres étaient essentiellement des fugitifs (15.000 marrons) ou bien des « libres de savane », c’est-à-dire affranchies de facto par leur maître – éventuellement parce qu’ils et elles étaient trop vieux –, en s’exonérant de la taxe d’affranchissement. Les affranchies en bonne et due forme étaient au plus quelques centaines. Certains avaient pu s’installer comme artisans, voire comme planteurs, en achetant quelques esclaves – c’était le cas de Toussaint Bréda.

Les Mulâtres était le nom générique des métis (aussi qualifiés de « gens de couleur » ou de « race jaune »). Mais, selon son ascendance, une ou un Mulâtre pouvait théoriquement être classée dans neuf catégories hiérarchisées, allant de sacatra (quasi Noir) à sang-mêlé (quasi Blanc), en passant par griffe, marabou, mulâtre, quarteron, métis, mamelouc, quarteronné. La majorité des Mulâtres étaient libres, mais leurs droits civiques étaient niés, et on leur interdisait les professions médicales, maritimes, juridiques ou religieuses. En cas de litige, on pouvait fouiller la généalogie d’un justiciable ou d’un candidat à un poste, et le débouter si on lui trouvait une arrière-grand-mère noire [2]. Fort employés dans la maréchaussée pour traquer les marrons, les Mulâtres pouvaient aussi s’établir commerçants ou planteurs, en achetant des esclaves. Selon l’historien CLR James, les bourgeois mulâtres se montraient souvent bons gestionnaires, attachés à leur pays, ne gaspillant pas leur argent en voyages d’agrément en France. Ils se voyaient comme l’avenir de Saint-Domingue.

Les Blanches ne pouvaient être esclavisées et ne subissaient pas d’interdit. Dans les villes, les « petits blancs » travaillant comme artisans ou boutiquiers étaient en concurrence avec les Mulâtres. Le meilleur moyen de les dominer était le maintien de la suprématie blanche dans la loi. Les « grands blancs » – négociants, propriétaires, gestionnaires, hauts administrateurs – constituaient l’élite coloniale, farouchement attachée à l’esclavage qui assurait sa prospérité.

Dans les luttes politiques de 1789-1791, les Blancs plutôt royalistes et attachés aux liens avec la métropole étaient dits « pompons blancs ». Ceux qui prônaient l’autonomisme et lorgnaient du côté de la Révolution américaine étaient dits « pompons rouges ».

Guillaume Davranche (UCL Montreuil)

  • Illustration : Lachaussée jeune, « Femme mulâtre de la Martinique accompagnée de son esclave », 1805

Les autres articles du dossier

[1Mulâtre, qui vient du mot « mulet » (un animal hybride), était et reste un terme péjoratif.

[2CLR James, Les jacobins noirs, Éditions Amsterdam, 2018, page 86.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut