Économie

Economie : planification, faux et vrais enjeux




L’annonce d’une refondation du Haut-commissariat au plan a suscité bon nombre de réactions  : à droite, on s’égosille face au retour d’un État jugé tentaculaire. À gauche, on déplore avec nostalgie le manque d’ambition de cette nouvelle institution qui ne serait qu’une pâle imitation de celle qui fut créée après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, le Plan gaullien n’a jamais été un modèle de socialisme.

Face à l’annonce de la création d’un nouveau Commissariat au plan, nombre de libéraux se sont étouffés et ont clamé que le gouvernement s’inspirait de l’innommable modèle chinois. Un «  instinct planificateur  » hanterait l’administration française depuis Colbert et Napoléon et reviendrait pour signer notre retour vers une économie dirigée. Or, il est clair que la bourgeoisie n’a pas grand chose à craindre d’un retour du Plan, qui plus est sous une forme très certainement amoindrie.

En l’état, le haut-commissaire au Plan n’aurait sous sa responsabilité aucune administration nouvelle  : il servirait simplement à coordonner l’activité des organismes de prospective et de planification existants, et notamment de France Stratégie. Tout porte donc à croire que cette refondation est essentiellement un effet d’annonce  : l’ancien Commissariat général du plan (CGP, 1946-2006) disposait d’une autonomie relativement large et de moyens conséquents.

Une refondation sur quelles bases ?

Que les idéologues libéraux se rassurent  : le Gosplan français n’est pas à l’ordre du jour. Dirigé par nul autre que François Bayrou, bolchevique de sinistre réputation, le haut-commissariat servira sans doute de caution à un gouvernement qui cherche à faire croire qu’il se soucie des enjeux socio-économiques de long-terme.

Le onzième et dernier plan quinquennal français s’est achevé en 1992, alors que le commissariat général au Plan n’a été définitivement supprimé qu’en 2006 par le «  gaulliste social  » Dominique de Villepin. Autrement dit, il a déjà existé un commissariat au plan sans aucun plan, et ce pendant une quinzaine d’années. Il est probable que ce soit vers cette situation que nous nous dirigions aujourd’hui, si ce n’est vers un commissaire sans commissariat... Faut-il pour autant entretenir une nostalgie gaullienne vis à vis de la planification à l’ancienne manière ?

Si les «  plans quinquennaux  » soviétiques étaient sans doute une inspiration réelle, le Plan tel qu’il a été conçu à la sortie de la guerre découlait bien plus directement de transformations profondes de l’interventionnisme étatique à l’échelle mondiale : face aux crises, aux revendications du mouvement ouvrier, à la complexification de l’économie et aux guerres du XXe siècle, les États capitalistes ont alors partout développé des appareils de comptabilité nationale et d’intervention directe. Il s’agissait de savoir ce qui était produit, quand et par qui, partout sur le territoire, pour prévoir les évolutions économiques et agir sur elles par le biais de décisions politiques. Dans le contexte de la reconstruction post-Seconde Guerre mondiale, de tels outils ont connu un fort développement, avec la création de l’Insee, l’explosion des études de sciences sociales et donc la création du CGP en 1946.

Une Économie concertée

Un aspect essentiel du CGP était qu’il reposait pour partie sur une planification dite «  indicative  »  : contrairement au Gosplan soviétique, son rôle était de mettre en relation les différents acteurs d’un secteur économique pour que chacun partage des informations sur ses investissements et ait en tête la même vision de l’avenir. L’homogénéisation des prédictions devait ainsi permettre de fournir des objectifs indicatifs, y compris aux entreprises privées, afin de réduire l’incertitude et d’accroître la prospérité. Il ne s’agissait donc pas de donner des ordres aux entreprises mais de créer ce qu’Ernest Mandel appelle une « économie concertée  ».

Bien sûr, le principe de base n’a rien de stupide  : l’État pouvait ainsi optimiser son action via des plans ciblés sur des secteurs particuliers, comme le fameux Plan calcul de 1966 dédié au développement de l’informatique. Mais s’il pouvait intervenir directement au cours du plan, il agissait bien souvent comme protecteur et garant d’entreprises privées jugées stratégiques, afin de pérenniser des investissements trop risqués pour les capitalistes privés. Par ailleurs, si des représentants des travailleurs étaient invités aux concertations, ils y étaient très minoritaires face aux grands capitalistes, qui pouvaient ainsi harmoniser leurs intérêts et limiter la concurrence. Autrement dit, le Plan n’était certainement pas l’aspect le plus «  socialiste  » du développement de l’interventionnisme étatique dans l’après-guerre : la Sécurité sociale, gérée majoritairement par des représentants syndicaux jusqu’en 1967, reste un cas autrement plus exemplaire. En somme, s’il n’y a pas grand chose à espérer du nouveau commissariat, il faut se rappeler qu’il n’y avait déjà pas grand chose à attendre de son ancienne version gaullienne.

COLLOGHAN

Pour une planification démocratique

Quand on nous parle de planification, il faut toujours demander  : «  la planification de quoi  ? Pour quoi faire  ?  » Et surtout  : «  par qui  ?  » Un plan n’est en définitive qu’une série d’objectifs et de moyens mis en œuvre pour la réaliser. À strictement parler, n’importe quelle entreprise planifie son activité  : dans son organisation interne, elle n’applique pas les règles du marché et de la concurrence mais celle de la hiérarchie et du commandement. Les géants de la grande distribution utilisent d’ailleurs des techniques de gestion des stocks extrêmement sophistiquées et qui permettent de faire chuter drastiquement les coûts  [1].

La planification est donc un problème technique qui trouve de plus en plus de solutions, en particulier grâce à l’informatique et aux progrès de la statistique. La question est cependant de savoir entre les mains de qui ces outils vont être placés. Un énième organisme remplis de lobbyistes et de hauts fonctionnaires ne changera pas grand-chose à notre système économique. Ce sont les travailleuses et travailleurs qui sauront utiliser ces instruments de connaissance sur la production et la distribution des richesses. À l’heure de la crise écologique, il est vital que l’usage des ressources soit rationalisé  : C’est le sens de la «  planification démocratique  » pronée par le courant communiste libertaire et par le syndicalisme autogestionnaire.

Mathis (UCL Grand Paris Sud)

[1Sur ce sujet, voir l’ouvrage de Leigh Philipps et Michal Rozworski, People’s Republic of Walmart, Verso, 2019, consacré au système de planification de la plus grande chaîne de supermarchés du monde.

 
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