Culture

Lire : Shah, « Le Livre de la jungle insurgée, Plongée dans la guérilla naxalite en Inde »




Professeure d’anthropologie à la London School of Economics and Political Science, Alpa Shah, après avoir gagné la complicité de la population locale, est entrée en contact avec la guérilla naxalite. Ce récit de son séjour dans leur rang est l’occasion de découvrir l’histoire d’une lutte armée rarement évoquée, d’un mouvement égalitariste et anticapitaliste méconnu, qui agite pourtant l’Inde depuis plus de cinquante ans.

Alternant les épisodes de son périple avec d’autres informations, notamment sur l’origine du mouvement, elle dresse le portrait des membres de la guérilla qu’elle côtoie pendant les quelques nuits passées à se déplacer avec eux, à pied et dans le noir complet, au cours d’un périple de 250 kilomètres. Au moment de l’indépendance de l’Inde, les communistes indiens se sont scindés entre pro-russes et maoïstes. Le succès du maoïsme dans les pays du Sud s’explique par la centralité accordée par Mao à la paysannerie dans la lutte révolutionnaire et l’association qu’il établit entre le capitalisme et l’impérialisme étranger.

Après l’insurrection déclenchée dans le Bengale-Occidental en 1967, dans la ville de Naxalbari, qui donna son nom au mouvement, les campagnes se peuplèrent de brigades armées et de troupes culturelles, jusqu’à la prise de contrôle de 3 000 villages dans lesquels les terres furent redistribuées aux pauvres. La répression fut brutale. De nombreux jeunes de la classe moyenne et de la bourgeoisie quittèrent leur foyer et leurs études pour rejoindre la lutte.

Dans les années 1980, le mouvement s’étendit aux plaines du Bihar et s’implanta chez les Dalits, la caste des intouchables, pour les libérer de leur asservissement aux classes dominantes. À la fin des années 1980, il battit en retraite dans les forêts des hautes terres du centre et de l’est de l’Inde, mobilisant les personnes les plus discriminées  : les Adivasis, descendants des habitants du territoire avant les invasions aryennes du IIe millénaire avant notre ère, totalement exclus du système des castes, mais représentant 104 millions d’individus, soit 8,6 % de la population, dont certains sont encore chasseurs-cueilleurs, surnommés les « jungli ».

Dans un pays dont la société est souvent perçue comme la quintessence de l’ordre hiérarchique, ces communautés de la forêt se distinguent par leurs valeurs assez égalitaires et la dignité et la fierté avec lesquelles elles les portent, en contraste avec la société de castes hiérarchisées des plaines. C’est parmi eux que les naxalites trouvent de nouveaux sympathisants à partir des années 1990 et qu’ils consolident leurs armées. Alpa Shah explique comment ils ont créé un État parallèle doté d’institutions para-étatiques.

Grâce au récit personnel de son expédition avec la guérilla et les souvenirs de ses longs séjours chez les Naxalites, elle permet de rendre accessible, sans perdre en rigueur, une somme considérable d’informations historiques et sociologiques. Cette traduction française ne peut que contribuer à faire découvrir cette lutte méconnue.

Ernest London (UCL Le Puy-en-Velay)

  • Alpa Shah, Le Livre de la jungle insurgée, Plongée dans la guérilla naxalite en Inde, Éditions de la dernière lettre, mai 2022, 362 pages, 24 euros.
 
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