Syndicalisme

Université : Les smicards se rebiffent




L’Université connaît un fort taux de contrats précaires. Les rémunérations réelles n’atteignent même pas le Smic. L’isolement des personnels précaires complique la mobilisation. Mais des collectifs de précaires et syndicats de lutte ont déjà quelques victoires à leur actif.

Le nombre d’étudiantes dans l’enseignement supérieur croît depuis plus de vingt ans, passant de 2,1 millions en 2002 à 2,8 millions à la rentrée 2020 (chiffres du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche). Bien loin d’anticiper cette hausse par des embauches de personnels, les gouvernements successifs n’ont fait que diminuer le nombre de places ouvertes aux différents concours de fonctionnaires. Par exemple, entre 2012 et 2021, le nombre de postes ouverts de Maîtres de Conférence a diminué de 43 %.

Les conséquences en sont limpides : des taux d’encadrement qui chutent, une sélection toujours plus pressante sur les étudiants et les étudiantes, des personnels administratifs débordées et des titulaires toujours plus surchargées, croulant sous les heures complémentaires. En réponse à ces problèmes, l’Université a trouvé la parade. Il s’agit d’organiser et d’exploiter la précarité.

700 000 étudiantes de plus en vingt ans

Les enseignements à l’Université ne sont en effet pas tous dispensés par des titulaires du statut de fonctionnaire. Une partie des services est réalisée grâce à des vacations. Ce sont des contrats horaires payés au forfait, destinés à toute sorte de personnes. Les profils réalisant ces vacations sont très variés : il peut s’agir de professeures de lycée, ou de personnes travaillant en entreprise venant le temps d’une intervention. Très souvent, il s’agit de doctorants ou de doctorantes qui en même temps préparent leur thèse. On estime que 20% de l’enseignement à l’Université est réalisé par les vacataires.

L’heure de Travaux dirigés (TD) est payée à hauteur de 41 euros. Or, la présence devant les étudiantes n’est qu’une partie du travail réalisé qui comprend aussi la préparation, la correction, la réponse aux questions, etc. D’après les calculs du ministère, une heure de TD équivaut à 4,2 heures de travail. Ce qui fixe la rémunération à 9,85 euros de l’heure, soit en dessous du Smic horaire. Cette estimation n’est qu’une moyenne qui masque la diversité du temps consacré à ces heures d’enseignement, puisque les contrats ne fixent pas le périmètre de la mission. Autre problème majeur : les vacataires ne sont pas statutairement des employées de l’Université, mais s’apparentent à des prestataires. En conséquence, si le service n’est pas réalisé, il n’y a pas de paiement… Ce qui exclut les congés maladie  !

Ces difficultés n’impactent pas tout le monde de la même manière. La situation des doctorantes est extrêmement hétérogène : une partie dispose d’un contrat doctoral qui garantit un salaire pendant les trois années que sont censées durer les thèses. Cependant, une autre partie n’a pas ce type de contrat et ne jouit d’aucun revenu pour sa recherche. On la trouve dans son immense majorité dans les Sciences Humaines et Sociales, un point révélateur de l’intérêt que portent nos universités à ces disciplines… Ces doctorants et doctorantes dépendent alors de revenus annexes comme ceux obtenus grâce aux vacations. Les retards de paiement ont alors des conséquences dramatiques. Cette situation est aggravée par Pôle emploi qui exige la déclaration des revenus au moment où le travail a été effectué, moment qui ne correspond pas au versement de la paie. Ce décalage aboutit mécaniquement à des pertes de revenus. Des vacataires en situation critique ont été menacées de radiation parce qu’ils et elles attendaient que la rémunération soit effectivement versée pour la déclarer.

Une heure de TD équivaut à 4 heures de travail

Devant cette situation, des personnels font face à la présidence des universités pour obtenir des conditions dignes. C’est le cas à Grenoble. Bien que le problème soit connu depuis plusieurs années, la lutte dans l’Université de cette ville a commencé en décembre 2021, par l’action de doctorants et de doctorantes, d’ont l’une s’était retrouvée le dos au mur vis-à-vis de Pôle Emploi. Les vacataires se sont organisées au sein d’un collectif qui regroupe des doctorants et de doctorantes, et des personnels de l’administration (qui peuvent également être amenées à réaliser des vacations). Une partie des personnes entrées en lutte est également syndiquée au sein de la CGT Ferc-Sup, ou encore de Sud-Recherche.

À force d’enchaîner les négociations avec la présidence, les réunions publiques, les rassemblements, le collectif a fini par gagner quelques améliorations notables. Ainsi, les doctorants et doctorantes sans contrat doctoral disposent dès cette rentrée 2022 d’un contrat de vacation mensualisé qui spécifie un service d’enseignement. Ce qui garantit des cotisations sociales, ainsi que des congés maladie. Cependant, cette victoire partielle n’implique ni une augmentation de la rémunération, ni une généralisation de la mensualisation à toutes les vacations.

Phénomène important, la lutte se structure aussi au niveau national : différents collectifs de précaires tentent d’établir des liens et de construire des actions communes. Au sein de la CGT Ferc-Sup, la nécessité de faire avancer les questions relatives au doctorat fait son chemin. Un collectif national a récemment été créé afin de coordonner l’action des doctorants et des doctorantes. L’un des objectifs premiers de ce collectif est de mettre en commun les informations et le matériel de propagande.

La construction et le renforcement de la mobilisation sont cependant difficiles, dans un contexte où les personnels précaires ne travaillent à l’Université qu’un temps, et sont cruellement isolées de leurs collègues. Surmonter cet isolement et créer une réelle solidarité entre précaires, mais aussi avec les titulaires dont on cherche à détruire le statut, sera la condition nécessaire à l’aboutissement de cette lutte.

Nico (UCL Grenoble)

*- Cet article a été écrit et relu avec l’aide du précieux travail d’information et d’argumentation mené par le Collectif de vacataires de l’Université de Grenoble, qui mène la bataille depuis bientôt un an.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut