Politique

2012 : L’appel des libertaires contre l’islamophobie




En 2012 était publié l’appel « libertaire et sans concession contre l’islamophobie ». Signé par plusieurs dizaines de militants, il provoqua une prise de conscience chez les libertaires.

En septembre 2012 eu lieu le chahutage de Caroline Fourest à la fête de l’Huma et une attaque au cocktail molotov contre Charlie Hebdo : suite à ces évènements, nous fûmes plusieurs militantes exaspérées des débats et des propos racistes pouvant être entendus de la part de camarades anarchistes au nom de la critique de la religion. Co-rédigé aux cotés du journal L’Autre-Ment et du collectif de rap BBoykonsian qui le publia sur leur site, cet appel eut un petit retentissement et amorça un sursaut. Plusieurs militantes de tous courants, et notamment d’Alternative Libertaire, signèrent l’appel.

L’année 2012 fut celle des tournants sur la question après huit ans de clivages à gauche depuis la loi du 15 mars 2004 qui divisa l’ensemble du spectre ­progressiste. À l’avant-garde de la prohibition du voile on trouve ainsi, outre le PS et la chiraquie, des acteurs de l’extrême gauche (ce sont des membres de Lutte Ouvrière et un membre du bureau politique de la Ligue communiste révolutionnaire qui en 2003 demandèrent l’expulsion d’Alma et Lila Levy du lycée Henri Wallon d’Aubervilliers, affaire qui accouchera 6 mois plus tard de la loi du 15 mars 2004).

Un début de mobilisation

À l’époque, hormis la Jeunesse communiste révolutionnaire et des militantes individuelles, l’extrême gauche resta massivement à l’écart de la mobilisation initiée entre autre par le MIB [1] « une école pour toutes et tous ». Idéologiquement, la réaction a gagné à gauche à ce moment-là. En 2005 l’influence grandissante de Michel Onfray se fait sentir (il sera longtemps cité au Monde libertaire jusqu’à une période récente) avec la publication de son Traité d’athéologie extrêmement bien vendu et défendant une forme d’identitarisme athée militant.

Au tournant 2010 le mouvement antifasciste prit acte que l’extrême droite, via notamment les Identitaires puis le FN, font de l’islamophobie leur cheval de bataille, ce qui amorça un début de mobilisation et de contre-argumentation. C’est à l’époque qu’émergea Riposte laïque à l’initiative d’anciennes militantes syndicalistes et féministes, qui s’affiche avec l’extrême droite à partir de 2009, mais dont tout juste quelques mois auparavant le discours passait crème à Radio libertaire qui les invite. En 2011 eut lieu la polémique sur la candidature d’Ilham Moussaïd, militante du NPA d’Avignon portant le hijab, qui ré-enflamma les débats d’autant que la polémique fut nationale. Elle obligea le NPA à clarifier ses positions les années suivantes tandis que des membres et sympathisants du Front de gauche publient le 20 avril 2012 sur Mediapart un texte dénonçant le phénomène de l’islamophobie. En 2013 Pierre Tevanian publie La Haine de la religion, démontant la cabale contre Ilham Moussaïd au nom de la phrase de Marx sur la religion comme opium du peuple.

Et le « ni dieu, ni maître » ?

Une des motivations de l’appel, dans la foulée de l’affaire Ilham Moussaïd, fut notamment les logiques d’exclusions vis-à-vis de militants et militantes se disant libertaires mais croyantes. Il s’agissait de refuser l’exigence de brevets d’athéologie aux camarades, notamment quand ils et elles venaient des quartiers populaires ou de familles musulmanes. Pour cela les rédactrices et rédacteurs de l’appel furent régulièrement attaquées et accusées de « théo-compatibilité » par certains réacs, et... certains anars.

Or entraîner Marx dans les brevets d’athéologie n’est pas sérieux, y entraîner Bakounine ne l’est pas plus car dans le texte Dieu et l’État on retrouve tous les arguments théoriques pour dénoncer le républicanisme et le laïcisme (un totem très actuel) comme une religion alternative pour l’État bourgeois moderne.

Durant les années qui suivirent, d’autres textes furent publiés [2], et un petit collectif se dessina, participant à des mobilisations, des rassemblements comme le 14 mars 2014 pour les dix ans de la loi de 2004 à l’appel du collectif Maman Toutes Égales.
Après les attentats de 2015, le collectif décida de se renforcer. Il participa à Nuit Debout où il organisa des ateliers aux côtés d’autres acteurs dont le CCIF. Une réunion publique eut également lieu avec la CGA en 2016. Dans l’esprit d’un Bernard Lazare qui défendit Dreyfus malgré les dénégations des libertaires qui, dans un premier temps, renvoyaient dos à dos dreyfusards et anti-dreyfusards et qui baignaient dans l’antisémitisme ambiant. Le collectif eut de même à cœur de dénoncer les argumentaires polluant notre courant, notamment ceux de Michel Onfray, l’injonction à être « Charlie » au nom de l’esprit « libertaire » du journal, et des dérives ayant pu apparaître notamment à la Fédération anarchiste. Le collectif a eu le mérite à sa petite échelle de faire bouger les lignes dans le courant anarchiste. Lors de la création de l’UCL, la dénonciation de l’islamophobie entre dans les statuts et l’organisation fait du recul de l’islamophobie à une échelle de masse un objectif antiraciste central, et s’engage notamment dans la mobilisation de la marche contre l’islamophobie de novembre 2019.

De nouveaux enjeux pour la décennie sont à venir  : si le Printemps républicain, avant-garde droite-gauche du combat islamophobe sort affaibli des dernières élections, pour autant la droitisation s’est accélérée. La loi séparatisme a été acceptée suite à une faiblesse du rapport de force pour s’y opposer, et la violence d’État, le recul des droits et la permanence des polémiques ne cessent plus. Aujourd’hui, l’enjeu est, pour les militantes de faire avancer la question dans les associations et les syndicats, où l’islamophobie suscite encore de gros clivages et où la question plus large des discriminations racistes est peu prise en compte. Un recul de l’islamophobie à une échelle de masse ne pourra se faire sans eux.

Nicolas Pasadena (UCL Montreuil)

[1Mouvement de l’Immigration et des Banlieues.

[2Lire aussi« Pas d’islamophobie au nom des idées libertaires » de Nicolas Pasadena, sur QuartiersLibres.wordpress.com, 25 juillet 2014.

 
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