numérique

Logiciel libre : le problème de la gratuité




Les failles Heartbleed (2014) et Log4shell (2021) ont rappelé au grand public que l’on utilise parfois des logiciels libres sans même le savoir, et que la sécurisation de ceux-ci peut être un enjeu majeur. Mais quand les personnes développant ces logiciels le font sur leur temps libre, à titre bénévole, qu’est-on réellement en droit d’attendre  ?

La sécurisation des logiciels est un problème général qui concerne l’ensemble des infrastructures, l’ensemble des systèmes d’exploitation, et qui n’épargne pas les logiciels libres [1]. Régulièrement, une faille critique dans un logiciel libre utilisé très largement, voire devenu indispensable, est découverte et soulève la question du modèle de financement derrière ces briques élémentaires de l’informatique mondiale.

En effet, tandis que les Gafam, et plus généralement les éditeurs de logiciels, salarient des armées de développeuses et développeurs pour travailler sur leurs produits logiciels payants ou rentabilisés par les affichages publicitaires, l’immense majorité des logiciels libres sont distribués gratuitement et développés par des bénévoles (ces bénévoles pouvant d’ailleurs être des employées des éditeurs de logiciels souhaitant faire quelque chose de plus éthique ou communautaire sur leur temps libre). Pour prendre la mesure du problème, il faut commencer par savoir que même les logiciels propriétaires des Gafam aux moyens titanesques sont régulièrement victimes de failles.

Des solutions pour rémunérer

Du côté des logiciels libres, les équipes de bénévoles sont souvent en sous-effectifs (quatre ou cinq personnes pour le logiciel derrière la faille Log4shell, seulement deux pour celui derrière Heartbleed), quand il ne s’agit pas tout simplement d’une personne seule  !

Si ces bénévoles décident soudainement de mettre la clé sous la porte et de passer à autre chose, le logiciel se retrouve orphelin  ; si ces bénévoles sont débordés par leur vie professionnelle et n’ont pas le temps pendant un moment de travailler sur le logiciel, la correction de la faille devra attendre  ; pire, face à une déferlante de messages inquiets, exigeants et parfois mal informés, tombant du jour au lendemain sur les réseaux sociaux lorsque la faille est rendue publique, un sentiment de harcèlement et d’injustice peut apparaître et la santé mentale de la personne être mise en danger.

Pourtant, des solutions existent. La solution communautaire par excellence, permettant de tenir autant que faire se peut le logiciel à distance des crocs capitalistes, est le don, ponctuel ou, mieux, récurrent. C’est ainsi que Wikipédia est financée, par exemple. D’autres, comme l’entreprise RedHat, vendent des logiciels
libres à d’autres entreprises en garantissant un support technique de qualité et de longue durée.

Chez Google, des équipes travaillent à temps plein sur des logiciels libres jugés trop critiques pour être laissés entre les mains de bénévoles uniquement – comme l’Android Open Source Project (partie libre d’Android) ou encore le navigateur Chromium (base des navigateurs, libres ou non, Brave, Chrome, Edge, Opera, etc.). Autre exemple, le modèle de financement pérenne du noyau Linux : grâce à des dons annuels de grandes entreprises dont l’activité dépend plus ou moins directement de Linux, parmi lesquelles on trouve AMD, Fujitsu, HP, Hitachi, Intel, IBM, Orange, Yahoo !… et même Microsoft, le créateur du noyau Linus Torvalds et quelques autres développeurs et développeuses essentiels sont salariées.

Mais si ces solutions permettent de maintenir à flot les plus gros logiciels libres, clairement identifiés par le grand public ou par les entreprises majeures du secteur, ce n’est pas le cas de tout un tas de bibliothèques élémentaires, de logiciels méconnus mais indispensables, comme ceux derrière les failles Heartbleed et Log4shell. Pour ce type de logiciels, le problème reste entier, puisque les appels au don se soldent généralement par des échecs.

En haut : « Toutes les infrastuctures digitales modernes. » En bas : « Un projet qu’une personne quelconque dans le Nebraska a maintenu gracieusement depuis 2003. »
XKCD

Tout travail mérite salaire ?

Évidemment, d’un point de vue plus politique, d’un point de vue communiste, le problème posé par le financement du logiciel libre ressemble fort à un cas d’école. D’un côté, des travailleuses et travailleurs de l’informatique engagés en faveur du logiciel libre, souvent un peu idéalistes, désireux de soutenir un effort communautaire bénévolement, désireux d’œuvrer pour le bien commun  ; de l’autre côté, la cruelle réalité du capitalisme, où en tant que prolétaires nous n’avons d’autre choix que de vendre notre force de travail pour récolter un salaire permettant de vivre. Vivre d’amour et d’eau fraîche et de développement informatique bénévole, ça n’est pas possible.

Le revenu de base et ses variantes ont un fort pouvoir de séduction au sein de la communauté du logiciel libre. Un revenu accordé à toutes et à tous, inconditionnellement, suffisant pour vivre dignement, permettrait selon ses défenseuses et défenseurs de résoudre le problème.

Pourtant, il existe aussi des critiques marxistes très sérieuses du concept de revenu de base, en ce sens notamment qu’au lieu d’émanciper du salariat – objectif inscrit dans le marbre de l’histoire du mouvement ouvrier – il l’installe en horizon indépassable. Sans trancher ici – le débat sur le revenu de base existe également au sein de l’UCL –, nous pouvons au moins affirmer que le mouvement anticapitaliste est en mesure de proposer un avenir émancipé aux développeurs et développeuses de logiciel libre. Celui-ci passera, à notre sens, par une syndicalisation forte dans le secteur informatique et par la grève.

Mais parler de la socialisation des moyens de production, de l’autogestion dans les entreprises et de l’abolition du salariat ne met pas à manger dans l’assiette des développeuses et développeurs dès aujourd’hui  ; il faut donc aussi leur proposer des solutions de solidarité concrète activables immédiatement.

Pour la commission librisme de l’UCL, les organisations du mouvement social, qui souvent utilisent assez largement les logiciels libres de Framasoft par exemple, doivent cesser de prétendre que «  libre = gratuit  » et, au nom de la solidarité et de l’exemplarité, doivent financer ces logiciels à hauteur de leurs moyens.

Pour ce faire, il suffit de trouver les plateformes de dons, et quand elles n’existent pas, de contacter directement les développeurs et développeuses pour leur demander comment donner. L’UCL s’est pour sa part engagée à le faire dès sa création, poursuivant l’engagement de l’ex-organisation Alternative libertaire, et donne donc tous les mois. Un exemple à suivre !

La commission librisme de l’UCL

[1 Un logiciel est dit libre s’il est librement exécutable
et si son code source est accessible, modifiable
et redistribuable. Par opposition, un logiciel ne satisfaisant
pas l’une de ces conditions est dit propriétaire ou privateur.

 
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