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Mali : Françafrique, Russafrique... changement de carcan




Il n’y a pas de solution militaire au Sahel. Mais en mettant l’armée française à la porte, la junte de Bamako ne vise pas une solution politique. Elle ne cherche qu’à protéger son pouvoir, en liant son destin aux mercenaires russes de Wagner. Le peuple malien paiera la facture.

Alors qu’elle est enlisée depuis 2014 dans une « guerre sans fin », l’intervention française au Sahel vient de subir un revers majeur. Depuis ses coups d’État d’août 2020, puis de mai 2021, la junte militaire au pouvoir à Bamako a méthodiquement poussé l’opération Barkhane vers la sortie.

Bamako a commencé par défier Paris en faisant appel, en novembre 2021, aux mercenaires de l’agence Wagner, connectée à l’État russe. Puis, le 24 janvier, Bamako a exigé, sous un prétexte administratif, le départ des renforts danois de la force Takuba. Créée en mars 2020, Takuba est une coalition de « forces spéciales » d’environ 900 personnes, sous commandement français, qui comprend des escouades suédoise, estonienne, italienne, roumaine, tchèque… C’est la caution « européenne » de l’interventionnisme français au Sahel, et Paris a fait des pieds et des mains pour entraîner des alliés réticents dans ­cette task force. Le camouflet infligé aux Danois – qui, furieux, ont quitté le Mali – a ruiné les efforts français pour faire exister cette coalition. Trois jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a ­vitupéré une junte « illégitime » prenant des « mesures irresponsables ». Réplique immédiate : l’ambassadeur français a été expulsé du Mali : un tremblement de terre dans la Françafrique ! Mi-février, finalement, Paris annonçait la fin de l’opération Barkhane au Mali.

L’armée française se replie donc sur le Niger  : à Niamey, d’où décollent ses drones et chasseurs, et à Aguelal, base située non loin de la mine d’uranium d’Arlit – en 2020, 35% de l’uranium importé pour alimenter le parc nucléaire français était nigérien [1]. Il y a fort à parier que, depuis le Niger, l’aviation française continuera à traquer les djihadistes dans le désert malien, avec l’accord tacite de Bamako.

Après que le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian (ici en visite au camp Kosseï, en 2016), a vitupéré une junte « illégitime », l’ambassadeur de France a été expulsé du Mali. Un tremblement de terre dans la Françafrique !
cc Ministère français de la Défense

Sanctions de la Cédéao

Qu’on ne se leurre pas : la junte malienne n’est nullement anti-impérialiste. Elle ne veut que remplacer un parrain jugé inefficace et encombrant – l’État français – par un autre parrain jugé plus pragmatique et expéditif – la Russie. On est là typiquement dans une politique de mise en concurrence des puissances étrangères et, au sein de l’armée malienne, la fraction prorusse – héritière des liens d’amitié avec l’URSS remontant aux années 1960 – l’a emporté sur la traditionnelle fraction profrançaise. Les honoraires de Wagner s’élèveraient à 10 millions de dollars par mois selon les chiffres (invérifiables) qui circulent. S’ils ne sont pas versés, l’entreprise a pour habitude de se payer sur la bête, en obtenant des concessions minières – car le Mali est riche en or. L’impérialisme français n’a cependant pas dit son dernier mot et, sous son impulsion, la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest (Cédéao) a infligé des sanctions au Mali.

Étranglé économiquement, spolié, le peuple malien est pris en otage. La « guerre sans fin » va se poursuivre. L’État français était un obstacle à une solution politique [2], recherchée par les partisans d’un dialogue et d’une « réconciliation nationale » [3]. L’agence Wagner, dont l’intérêt est justement que le conflit dure indéfiniment, sera un obstacle tout aussi redoutable.

Guillaume Davranche (UCL Montreuil)

[1Chiffre Euratom cité par Le Monde, 24 janvier 2022.

[2« Pourquoi l’armée française doit quitter le Sahel », Alternative libertaire, juin 2020.

[3Aminata Dramane Traoré :« Le néolibéralisme a pour bras armé l’opération Barkhane », Alternative libertaire, novembre 2020.

 
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