Syndicalisme

Union Syndicale Solidaires : rompre avec la complaisance envers le productivisme




L’intégration de l’écologie dans le syndicalisme de l’Union syndicale Solidaires a été précoce, et ne fait quasiment plus débat en son sein. Elle se diffuse de plus en plus, y compris vers d’autres organisations syndicales.

« Urgences sociales, urgences écologiques, passons à l’action ! », c’est sous cette banderole que s’est tenu le dernier congrès de ­l’Union syndicale Solidaires, en ­septembre 2021. Ce n’est pas qu’un slogan ! Solidaires débat et construit des positions éco­logistes depuis plus d’une décennie. C’est le résultat d’un double mouvement. D’une part, la préoccupation écologique est un héritage des mobilisations des années 1970-1980, dont procède largement le syndicalisme de Solidaires.

D’autre part, la forte prise de conscience écologique qui traverse toute la société est prise au sérieux : travailleuses et travailleurs organisés, nous avons une responsabilité à faire changer radicalement le système de production et de consommation. La perspective de renverser le capitalisme et d’abattre les inégalités, oppressions et dominations s’accompagne d’une nouvelle urgence : garder une planète viable. En cela la question écologiste peut être vue comme un nouveau moteur de la transformation sociale du XXIe siècle.

La tenue, en juin 2021, d’une journée « reconversion sociale et écologique », avec la participation de nombreux syndicats concernés (Chimie, Rail, Industrie, Poste, Aérien, Amazon…) a montré l’envie de faire bouger les choses, malgré les contradictions qui peuvent exister entre l’immédiateté salariale et le moyen terme des conséquences productives.

La fédération SUD-Chimie a pris le débat à bras-le-corps. Les camarades assument de plus en plus clairement de travailler dans un secteur extrêmement polluant dont la finalité sociale est faible, voire inexistante. La question est de distinguer ce qui est indispensable de ce qui ne sert à rien et accélère la dégradation de nos écosystèmes. Il s’agit également de réfléchir à la reconversion d’entreprises vers des productions utiles.

Discussion fructueuse avec SUD-Solidaires Amazon

Mais si cette réflexion sur la réappropriation du travail et de ses outils est indispensable, elle se heurte toujours à la question centrale du capital. Qui le contrôle a droit de vie ou de mort sur l’entreprise. Ainsi, à l’annonce de la fermeture en 2020 de l’usine de pneus Bridgestone de Béthune et la mise à la porte des 850 salariées, SUD-Chimie a proposé une reconversion de l’outil industriel écologiquement et socialement utile : se tourner vers la fabrication de bâches pour l’isolation thermique des bâtiments. Mais ni les patrons ni l’État n’ont voulu de cette solution et, en plus du massacre social, le savoir-faire industriel a été gâché.

Contre la fermeture de l’usine de pneus Bridgestone de Béthune, SUD-Chimie a défendu l’emploi des 850 salariées en prônant une reconversion de l’outil industriel écologiquement et socialement utile : se tourner vers la fabrication de bâches pour l’isolation thermique des bâtiments.
(c) PASCAL ROSSIGNOL

Sur un autre front, l’explosion du secteur de la logistique entraîne la multiplication d’entrepôts de conditionnement, de stockage ou de « gestion du dernier kilomètre ». Solidaires a réussi à s’implanter rapidement et à devenir majoritaire sur plusieurs sites de l’entreprise la plus emblématique du secteur : Amazon. Le travail dans la logistique est très dur, repose sur une main d’œuvre peu qualifiée, précarisée et fliquée chaque minute par du numérique de surveillance, sous contrôle d’une hiérarchie omniprésente et impitoyable  [1].

Pourtant, le sentiment d’appartenance à l’entreprise reste fort chez nombre de travailleuses et travailleurs. Ainsi, SUD-Solidaires Amazon a engagé la discussion dans Solidaires sur les luttes « Stop Amazon » qui se sont multipliées contre la construction de nouveaux entrepôts en pointant que d’autres syndicats dans l’entreprise utilisaient ces mots d’ordre pour dénoncer SUD comme voulant détruire les emplois. Après discussion, tout malentendu a été dissipé et le constat est maintenant partagé sur l’entreprise, ses méthodes, ses objectifs et la destruction de l’emploi local qu’elle engendre. Mais évidemment, cela rappelle qu’il n’y aura pas de transformation écologique dans la production sans l’implication des travailleurs et des travailleuses directement concernées.

Au niveau des cadres unitaires, les choses se sont accélérées en 2018 et 2019. Avec la multiplication des épisodes climatiques « exceptionnels », les grandes marches pour le climat et la mobilisation des gilets jaunes, il s’est agi de matérialiser le nouveau slogan « Fin du monde, fin du mois, même combat ». Solidaires a poussé pour que les intersyndicales nationales prennent des positions sur les questions environnementales et climatiques – ce qui a été quasi impossible avec FO, mais a eu un impact sur la FSU et la CGT.

Avec ces deux syndicats, Solidaires se retrouve dans la coalition écologique et sociale Plus jamais ça (PJC)  [2]. Cette alliance qui regroupe syndicats et associations, a fait bouger les lignes et créé des convergences et des dynamiques sociales et écologiques concrètes, comme c’est le cas par exemple autour de la lutte pour la réouverture de l’usine de recyclage de papier Chapelle-Darblay  [3], le travail autour de la raffinerie de Grandpuits, le soutien à la Coopérative des masques  [4] ou la lutte contre les mégabassines  [5].

Tensions en interne

Ce travail unitaire a révélé des tensions dans les structures. Ainsi dans la CGT un certain nombre de productivistes, du côté des cheminots ou de l’énergie par exemple qui ne voient pas l’importance du combat écologiste pour notre classe, attaquent Philippe Martinez sur ce sujet. À Solidaires, seul Solidaires-Industrie critique ouvertement la participation à PJC comme marquant « la transformation du syndicat en ONG » et le glissement du « social vers le sociétal ». Cette position cache mal le fait que ce syndicat, au niveau national, n’engage aucun travail sur la question écologique.

Malgré tout, Solidaires reste le seul syndicat à participer à « l’inter­orga climat » qui regroupe des dizaines de structures et essaie de coordonner l’intervention collective sur le sujet. Et ­l’Union vient de se doter de matériel d’apparitions (drapeaux, autocollant) qui revendique clairement d’être un syndicat écologiste.
Évidemment, il reste du chemin à faire, y compris au sein de Solidaires, pour déconstruire la pensée productiviste qui a été martelée pendant des décennies. Mais c’est un mouvement irréversible, qui marquera bientôt une ligne de rupture entre syndicalisme-greenwashing et syndicalisme écologiste, entre syndicalisme d’accompagnement du capital et syndicalisme de transformation sociale. De ce point de vue, Solidaires est clairement un outil dans la bataille écologique qui ne va que s’amplifier.

Boria

[2Lire « Par ici la sortie de crise », Alternative libertaire, juillet-août 2020.

[3Lire « Papeterie Chapelle-Darblay : Sans l’outil industriel, pas de recyclage », Alternative libertaire, novembre 2021.

[5Lire « Poitou : La guerre des mégabassines fait rage  », Alternative libertaire, janvier 2021.

 
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