Politique

Entretien : « L’inscription de la Polynésie française sur la liste des pays à décoloniser : une première étape vers l’indépendance »




Le 30 avril, la population de la Polynésie, ensemble d’îles de l’océan Pacifique dépendant de la France, a accordé la victoire au parti indépendantiste de gauche du Tavini huiraʻatira Servir le peuple autochtone » en tahitien), qui détient désormais l’Assemblée, le gouvernement et les trois sièges de députés.
Pour mieux comprendre les enjeux spécifiques de ce territoire de 300 000 habitantes, nous avons interviewé Toto, un jeune militant écologiste passé par Extinction Rebellion Paris puis de retour au Fenua (« pays ») pour y lutter.

Alternative libertaire : Quelle est la situation politique et sociale en Polynésie  ? Quel est l’état de la contestation sociale  ?

Toto : La Polynésie n’échappe pas à la crise économique et à une inflation qui se ressent au quotidien, renforcée par la dépendance au fret (les importations représentant 80 % des produits vendus localement). Malgré une augmentation du PIB ces dernières années, la pauvreté s’est accrue et touche notamment les plus jeunes.

La crise COVID a été particulièrement violente dans les îles, tant sur le plan sanitaire et économique que politique. Les scandales qui ont touché la précédente majorité macroniste (refus de vaccination de plusieurs dirigeants politiques, visite de Macron qui a relancé l’épidémie, célébration du mariage du vice-président alors que les festivités étaient interdites…) expliquent en partie les résultats électoraux de l’opposition.

Malgré la claque des législatives, le gouvernement d’alors n’a pas changé de cap : les soi-disant « mesures sociales » n’ont pas convaincu et ne font qu’aggraver la misère de la population. On peut notamment citer l’instauration de la « TVA sociale » qui applique une taxe de 1 % pour chaque transaction d’une marchandise, très nombreuses dans les îles. Elle est censée permettre de renflouer la Caisse de Prévoyance Sociale (la Sécurité Sociale locale), minée par la période COVID et le coût de la malnutrition, véritable fléau sanitaire qui concerne plus d’un tiers de la population. À l’inverse, une loi sur la taxation des produits gras et sucrés a été adoptée mais vidée de substance au mépris des avis scientifiques.

Malheureusement, le Fenua reste globalement en retard sur les mouvements sociaux. Les manifestations organisées par les syndicats locaux, en lien avec la métropole, ont été peu suivies par la population : la dernière, fin mars, a difficilement regroupé 500 personnes.

Drapeau du parti indépendantiste Tavini huiraʻatira. C'est aussi le drapeau proposé pour la Polynésie inépendante: chaque étoile représente un des cinq archipels.
Drapeau du parti indépendantiste Tavini huiraʻatira. C’est aussi le drapeau proposé pour la Polynésie indépendante : chaque étoile représente un des cinq archipels.
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Quelles vont être les conséquences de la victoire récente du Tavini sur les questions sociales et pour l’indépendance  ?

Le Tavini a longtemps été le fervent défenseur de l’indépendance « presque immédiate », mais il faut noter que la nouvelle génération (notamment les trois nouveaux députés) prônent une approche plus apaisée et un processus de plus long terme. L’inscription à la liste de l’ONU des pays à décoloniser reste portée comme une priorité pour le parti, mais le nouveau président Moetai Brotherson évoque désormais un référendum d’ici 10/15 ans, le Pays devant d’abord « construire les conditions de son indépendance » notamment par un développement économique local suffisant. Prenons l’exemple du tourisme, pilier de l’économie locale. L’ancien gouvernement défend un tourisme de luxe hors-sol et écologiquement absurde, quand le Tavini souhaite développer un tourisme mieux réparti entre les archipels et à une échelle plus familiale et humaine. Ce qui ne va pas sans poser de questions écologiques, comme en témoigne le souhait d’un aéroport international aux îles Marquises.

Il faut aussi noter que si le Tapura diabolisait le Tavini avec l’épouvantail de « l’indépendance immédiate », l’opposition a substitué au clivage autonomie-indépendance l’opposition droite-gauche, se positionnant clairement comme une opposition sociale au gouvernement local macroniste.

Quelles sont les forces sociales qui luttent à la base  ? Quelles sont leurs relations avec le Tavini  ?

Les partis possèdent une base militante forte qui sait se mobiliser lors des élections au sein des quartiers pour aller chercher des voix. Malheureusement, ce démarchage est à la limite du clientélisme, les appels à « bien voter » étant parfois couplés à des distributions des denrées alimentaires au sein des quartiers les plus défavorisés. La vie politique s’articule en réalité beaucoup autour du culte de quelques grandes personnalités qui se relaient aux commandes du Pays depuis parfois plus de 30 ans (Gaston Flosse à droite, Oscar Temaru à gauche pour ne citer qu’eux). Dans ce contexte, les primo-députés Tavini élus aux législatives apportaient déjà un vent de fraîcheur, comptant d’ailleurs dans leurs rangs le plus jeune député jamais élu en France. Une dynamique confirmée par les élections territoriales, Temaru restant en retrait durant la campagne.

En ce qui concerne les luttes locales, aucune ne mobilise réellement le peuple polynésien actuellement, si ce n’est l’instauration de la TVA sociale déjà mentionnée. La lutte autour des essais nucléaires, très active il y a quelques décennies, est en perte de vitesse.

Comment faire depuis la France métropolitaine pour soutenir les luttes polynésiennes  ?

Une première étape vers l’indépendance reste l’inscription de la Polynésie Française sur la liste des pays à décoloniser de l’ONU, qui sera portée dans les prochains mois par les dirigeants à l’échelle internationale. La sensibilisation et l’information autour de ce processus pourraient permettre au grand public de comprendre les tenants et aboutissants de cette procédure pour la Polynésie. C’est en tout cas ce qui me paraît le plus accessible à l’heure actuelle.

Pour conclure sur le caractère impérialiste de la métropole dans nos îles : ayant abandonné toute politique sociale pour la jeunesse, c’est via l’armée que l’État propose des emplois, avec le dispositif du Régiment du Service Militaire Adapté. Beaucoup se félicitent de son utilité pour les populations locales (nombreuses formations, emplois), mais on ne peut pas oublier la finalité pour la plupart des jeunes passant par ce dispositif : le recrutement au sein de l’armée française, loin de nos îles et de nos valeurs. Si certains ne souffrent que de l’éloignement, d’autres ne reviendront jamais et sont alors érigés en héros dans les médias locaux, morts loin des leurs pour un conflit qui ne les concerne pas. Reste à voir ce que la nouvelle majorité va faire de ce dispositif.

Propos recueillis par Hugo (UCL Montreuil)

Lire aussi notre communiqué Polynésie : Une gifle contre l’impérialisme français

 
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