Syndicalisme

Portrait de militante : Thérèse Taugourdeau, une « midinette » à la tribune




Féministe, antimilitariste, syndicaliste et libertaire, la couturière Thérèse Taugourdeau (1883-1979) fut une des petites mains de la lutte contre la guerre en 1912-1913. Son bref parcours est caractéristique d’une époque, tout en étant singulier car les oratrices ouvrières étaient – et restent – rares.

  • photo : grève des midinettes. 1910

Elles ne sont qu’une poignée d’oratrices parmi des dizaines d’orateurs, en ce 25 mai 1913, sur la butte du Pré-Saint-Gervais. Nous sommes dans un de ces immenses rassemblements pacifistes qui précédèrent la Grande Guerre, et 150 000 personnes sont venues écouter les discours du Parti Socialiste (PS) et de la CGT.

Et il faut du coffre pour être entendu, à une époque où la sonorisation est inexistante. Celles qui prennent la parole sont surtout des institutrices socialistes, et l’avocate Maria Vérone. Mais sur une tribune un peu à l’écart, celle de la Fédération communiste anarchiste (FCA), il y a une couturière angevine d’une trentaine d’années : Thérèse Taugourdeau.

Fille d’un chauffeur mécanicien et d’une couturière, Thérèse Taugourdeau s’est installée à Paris vers 1910 avec son mari Lucien, qui avait été un des responsables de la bourse du travail d’Angers. Tous deux ont milité au Groupe des Originaires de l’Anjou, affilié à la FCA, et Thérèse s’est syndiquée à la fédération de l’Habillement.

Grève des midinettes. 1910

D’orientation syndicaliste révolutionnaire, cette fédération est de celles qui, au sein de la CGT, réfléchissent le plus aux revendications spécifiques à développer pour syndiquer les femmes. En 1911, la fédération a mené la grève des « midinettes » de la maison Esders, qui a révélé une génération de militantes – dont Thérèse Taugourdeau.

Elle prend la plume pour la première fois en 1912. Dans le journal corporatif L’Ouvrier teinturier dégraisseur, elle publie un article, « Femmes relevez la tête », où elle affirme : « C’est surtout vers la femme que doivent aller les efforts du syndicalisme » pour « réaliser cette belle devise : à travail égal salaire égal ».

Dans Le Libertaire, elle publie « Éducation féminine » – un classique plaidoyer pour la politisation des femmes – puis, plus subversif, « Féminisons les hommes » qui appelle les militants à devenir proféministes pour cesser d’être incohérents.

Une activité politique, syndicale et associative

En septembre 1912, au moment de la loi de répression des antimilitaristes, dite Berry-Millerand, Thérèse Taugourdeau cofonde et devient secrétaire d’un groupement œcuménique au nom interminable : le Comité féminin contre la loi Berry-Millerand, les bagnes militaires et toutes les iniquités sociales. Le comité est animé par un groupe de couturières anarchistes, mais on y trouve aussi des militantes socialistes comme Maria Vérone et Madeleine Pelletier.

Pré Saint Gervais. Manifestation contre la loi des trois ans (25 mai 1913)

Pendant plus d’un an, le « Comité féminin » devient un acteur constant de la lutte contre le militarisme et la guerre. Il édite plusieurs tracts – l’un d’eux vaut à Taugourdeau d’être placée en garde à vue – et dépêche des représentantes dans tous les meetings de la période – et assez souvent, c’est elle qui s’y colle.

De façon tout à fait originale, en novembre 1913, le Comité féminin organise d’ailleurs des cours de diction et de théâtre pour former des oratrices et des comédiennes capables de jouer des « pièces à thème » dans les fêtes militantes.

Thérèse Taugourdeau disparaît des archives à compter d’août 1914, sans que l’on sache si elle a maintenu sa position antiguerre, ou si elle s’est résignée à la défense nationale. Il semble qu’elle a rejoint le PS dans l’Entre-deux-guerres.

Loin d’être une icône comme Louise Michel, elle aura été une « simple militante », de celles qu’on oublie trop souvent, mais qui a agi concrètement pour articuler action autonome des femmes et action ouvrière révolutionnaire.

Guillaume (UCL Montreuil)

 
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