États-Unis : des hobos aux organizers




Il y a cent ans, aux États-Unis, des ouvriers révolutionnaires ­itinérants, vagabonds parmi les vagabonds, portaient la bonne parole syndicaliste de chantier en usine. Aujourd’hui, pour aider les luttes des franges les plus précaires du prolétariat, les ­syndicats paient des agitateurs professionnels, les organizers.


Cet article est issu d’un dossier spécial sur l’éducation populaire


Si l’éducation populaire est un terme typiquement français, les États-Unis et le Canada ont connu des mouvements partageant des préoccupations similaires. Avez-vous déjà entendu le mot empowerment ? On pourrait le traduire par « capacitation » ou « autonomisation ». L’empowerment vise à donner aux groupes et individus les outils leur permettant de mener leur propre émancipation.

Cette idée remonte à loin. Dès leur fondation, en 1905, les Industrial Workers of the World (IWW), un mouvement syndicaliste révolutionnaire très dynamique, se sont posé des ques­tions cruciales  : alors que le prolétariat états-unien était composé d’une mosaïque de migrants de toutes langues et de toutes origines, comment développer une conscience collective, une culture commune et une éducation autonome ?

Les syndicalistes des IWW, surnommés «  wobblies  », comptaient dans leurs rangs beaucoup d’ouvriers vagabonds (hobos), qui vivaient «  sur le trimard  », de chantier en usine, et n’hésitaient pas à tenir meeting dans les « jungles », ces campements ­sauvages de déshérités.

Pour toucher les mi­séreux, les IWW usaient de moyens de propagande simples et efficaces : caricatures, chansons, théâtre de rue…

ça bouge sur la gauche de l’AFL

Jusqu’à ce que la répression et les dissensions mettent un frein à son développement, l’IWW va constituer un contre-pouvoir très important, comptant jusqu’à 100 000 adhérents à son apogée, avant 1914, et marquant durablement la culture populaire. Nombre de folk singers, dont Bob Dylan, peuvent être considérés comme les héritiers de leur cul­ture de la chanson engagée. [1]

L’influence des IWW s’estompe dans les années 1920 mais, à partir des années 1930, une nouvelle pratique voit le jour dans la frange gauche de l’AFL (la grande centrale syndicale états-unienne), qui va donner naissance à ce spécimen militant typiquement nord-américain qu’est l’organizer.

L’organizer est une ou un activiste, souvent jeune et politisé-e, possiblement d’extrême gauche. Payé-e par le syndicat [2] , il ou elle devient un agitateur professionnel, en­voyé en mission dans les milieux ouvriers émiettés pour les aider à se structurer et à revendiquer. Une fois que le groupe est soudé autour de quelques victoires, l’organizer part vers de nouvelles aventures. On peut en voir un à l’œu­vre dans le film de Ken Loach Bread and Roses (2000).

Ce modèle militant a également existé à diverses époques dans le syndicalisme français, tout en restant plutôt l’exception. Mais aux Etats-Unis, il est devenu la norme. Dès les années 1930, le pragmatisme et la créativité déployés par les organizers ont d’ailleurs inspiré Saül Alinsky pour sa théorie du community organizing

Tudy (AL Savoie), Guillaume (AL Montreuil)

[1A ce sujet, lire Joyce Kornbluh, Hobos & Wobblies. Industrial Workers of the World : agitateurs itinérants aux Etats-Unis (1905-1919), L’Insomniaque, 2012.

[2« Become a Union Organizer », page de recrutement sur le site de l’AFL-CIO (www.aflcio.org)

 
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