Se réapproprier les MJC, c’est possible




Oui, une MJC peut être davantage qu’un lieu où l’on fait de l’animation socio-culturelle pour « occuper » les jeunes du quartier. Avec un peu d’imagination et de volonté politique, elle peut jouer un véritable rôle social en lien avec les habitantes et les habitants, et en défendant sa marge d’autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics.


Cet article est issu d’un dossier spécial sur l’éducation populaire


Les Maisons des jeunes et de la culture (MJC) ont pris leur essor dans les années 1960, appuyées par une volonté de l’État gaulliste d’« occuper la jeunesse », alors que la société s’émouvait du phénomène des « blousons noirs » (à chaque époque ses angoisses...).

Cependant, dès l’après-Mai 68, désormais considérées comme des « nids rouges », elles sont devenues une cible de la répression, et les pouvoirs publics se sont efforcés de les mettre au pas. Si l’on ajoute à cela la professionnalisation de l’animation, cela fait plus de trente ans que l’on voit s’étioler les réseaux militants et bénévoles des MJC, et reculer la prise en charge des activités par les usagères et les usagers eux mêmes. Pourtant, tout n’est pas perdu, comme le montrent certaines expériences.

Reprise en main par les salarié-es...

Il y a quelques signes qui donnent à penser qu’actuellement, dans les MJC, nous assistons peut-être à la fin d’un cycle de délégation, où on laissait à des professionnels dociles la gestion des structures, au lieu d’agir pour les gérer collectivement, qu’on soit usager, animateur ou animatrice... Nous pouvons dire qu’avec des personnes comme Franck Lepage [1] ou Laurent Ott [2] et l’audience relativement large qu’ils rencontrent, on sent monter une envie de réappropriation des lieux d’éducation populaire.

Ce sentiment me semble correspondre à la MJC où je travaille, dans l’Est parisien. En 2011, la structure était en quasi dépôt de bilan, ce sont des salariées – elles-mêmes dirigeantes d’autres associations sur le même quartier – qui ont prêté l’argent pour payer les salaires. En même temps, le lieu a été saccagé par des jeunes en conflit qui ne trouvaient pas leur place dans la structure. Pour certains, la rue est à la fois un lieu de confrontation entre bandes rivales, et un endroit de consommation de drogues à ciel ouvert. Il y a eu des périodes où l’entrée de la MJC était surveillée par des vigiles...

… et par les usagers et usagères

Des agoras ont eu lieu en 2011 pour redéfinir un projet avec les salarié-e-s, des bénévoles, des usagères et des usagers. En même temps, un nouveau contrat a été signé avec la Ville pour la gestion de l’équipement et la mise en place d’activités. Dans un premier temps, des travaux de réorganisation des espaces, des salles ont été réalisés, permettant une discussion de ce qu’on y fait ou pas. La bataille a été aussi de faire sortir la consommation et le roulage de joints vers l’extérieur, tout en ouvrant de nouvelles possibilités, par exemple en permettant aux jeunes de proposer et d’organiser des soirées.

Ainsi plusieurs soirées préparées par les jeunes eux-mêmes, avec les jeunes, ont eu lieu. Les finalités de ces soirées ont aussi été débattues :

financement d’heures d’enregistrement en studio, une autre soirée pour aider des copains partis en prison. Cela a permis d’ouvrir un débat sur ce que la MJC pouvait cautionner ou pas, ce à quoi les aides pouvaient servir. Si, pour la première soirée, une dizaine de professionnel-les étaient présents, aujourd’hui trois suffisent, les jeunes prennent en charge les tâches et l’organisation, ce qui est la condition pour que la MJC ouvre ses portes à la nuit tombée.

Redevenir un lieu de socialisation et de solidarité

Progressivement, il s’agit d’être à nouveau un lieu de socialisation et de jeux non marchands. On peut mettre en place une réflexion sur la consommation, disposer sur les présentoirs aussi bien les concerts à l’église du coin que des concerts punk dans les bars du quartier. Un vrai éventail de choix.

Un « livres service » (où l’on peut laisser ou prendre des livres) a été mis en place. Des films et des débats ont lieu aussi : sur l’agriculture, sur les sans-papiers, sur le Chiapas et l’EZLN...

La MJC a développé des outils de solidarité en ayant un fort public de sans-papiers : à travers les ateliers d’aide aux devoirs, les cours de français-langue étrangère (FLE) pour les parents non francophones, les permanences d’écrivain public, les ateliers de recherches d’emploi, d’utilisation de l’informatique... Il y a aussi les sorties au stade, les livres donnés, la bibliothèque, la mise à disposition de documents sur les droits sociaux, sur les activités gratuites à Paris l’été, etc... Il s’agit avant tout de garder et de se réapproprier des principes de bases de l’éducation populaire que sont la gratuité, la solidarité, le partage, le faire-ensemble, développer l’esprit critique et le savoir.

Des luttes de classes à la MJC

Redéfinir le projet de la MJC, c’est éliminer les activités où l’association n’est qu’un prestataire de locaux sans lien avec les habitantes et les habitants. Les activités, même imposées par le cahier des charges de la mairie, doivent permettre la coexistence de toutes les catégories sociales. Nous avons réussi jusqu’à maintenant, malgré la contrainte des nouveaux rythmes scolaires et la paupérisation notamment dans les classes moyennes. Il s’agit de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’un côté des activités pour les riches et de l’autre des activités pour les pauvres, mais de maintenir la diversité dans toutes les actions.

Les discussions avec les collectivités territoriales qui veulent faire de l’éducation populaire leur bras armé consistent à rappeler que nous sommes porteurs de valeurs et qu’en fonction de celles-ci, nous déployons des activités propres, voire autofinancés. La pression est importante. Sur Paris, plus la mairie se sent en difficulté, plus elle veut nous faire agir dans son sens. Les subventions peuvent conduire à des diktats, après quoi les associations ne proposent plus mais se plient aux exigences des élu-es.

Il faut aussi se battre contre les pressions sur les personnels qui, sous prétexte de leur engagement, sont parfois maltraités au travail. SUD-Asso, qui syndique les salarié-es d’associations, parle de « syndrome de Stockholm » pour évoquer ces travailleurs qui épousent le point de vue de leur patron, parce qu’il est « de gauche »...

Il est nécessaire d’aller vers plus de coopération entre structures dans les localités, pour contrebalancer la mise en concurrence des associations, qui a fait fermer leurs portes à plus de treize MJC en Île-de-France en 2015 !

Noël (AL Oise/secteur asso CNT-SO)

[1Militant critique du rôle de la culture dans notre société, il est a cofondé la scop d’éducation populaire Le Pavé, et est l’auteur de plusieurs « conférences gesticulées » sur la protection sociale, l’éducation populaire ou l’enseignement

[2Formateur dans une école de travail social, il est aussi militant associatif, animateur, chercheur, auteur de plusieurs livres...

 
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