Zoologie des élites : Dîner du Siècle - fini les concessions




Les joyeux trublions du Collectif fini les concessions - Branche armée de patience ont désormais pris l’habitude de venir perturber les réunions du prestigieux club Le Siècle, ce qui n’est en revanche vraiment pas du goût de la police.

Depuis 1944, le club Le Siècle réunit tous les mois les élites politique, économique et médiatique du pays pour un somptueux dîner à l’Automobile Club de France (ACF), sis place de la Concorde, face à l’Assemblée nationale et à deux pas de l’Elysée. Un dîner qui est surtout l’occasion de débattre entre gens de bonne compagnie sur des thématiques et selon des plans de table soigneusement préparés [1]. Mais depuis quelques mois, ces agapes sont perturbées par une bande de joyeux trublions. Dans la foulée de la sortie du dernier film de Pierre Carles, Fin de concession, qui a pointé ses projecteurs sur ce club très sélect, une foule de protestataires a commencé à se réunir devant l’ACF, créant le Collectif fini les concessions - Branche armée… de patience (CFC-BAP).

Dans un premier temps, il s’agissait de dénoncer la présence de journalistes en vue, et les rapports incestueux qu’ils y entretiennent avec le gratin politique et patronal, sans jamais en rendre compte. En effet, David Pujadas, PPDA, Laurent Joffrin, Emmanuel Chain, Franz-Olivier Giesbert ou Arlette Chabot côtoient en bonne intelligence au Siècle Louis Schweitzer, Louis Gallois, Maurice Lévy, Thierry Breton, Michel Bon, Claude Bébéar, Ernest-Antoine Seillière, Jacques Attali, Martine Aubry, Laurent Fabius, Elisabeth Guigou, Patrick Devedjian, Jean-François Copé, François Fillon ou Rachida Dati, nous ne les citerons pas tous, ils sont plus de 500.

Branche armée de patience

En octobre, tout s’est bien passé : nos joyeux drilles ont pu sans problème interpeller plusieurs de ces médiacrates sur leur connivence avec les « patrons plastronnants » et les « marquis de la politique ». Quelques flics gardaient l’entrée, il y a eu une ou deux bousculades, mais rien de bien méchant. En novembre, ça se corse : le cordon sanitaire policier est bien plus important, des militants d’extrême-droite s’invitent à la partie sous le regard attendri des forces de l’ordre.

L’ambiance est tendue : des assiettes dorées (en carton) ornées de pavés sont tout de même envoyées en direction de l’ACF, ainsi que des cotillons et un ou deux paquets de farine. Cependant, très vite, les flics entourent les manifestants, les enfermant dans une nasse. Bilan : une soixantaine d’interpellations, deux manifestants tabassés – un par les fachos, un par les flics. Mineur, ce dernier a été placé en garde-à-vue car il aurait abîmé la voiture d’un dîneur. En décembre, rendez-vous manqué : pour cause de fêtes de Noël, Le Siècle s’est réuni une semaine plus tôt, sans que le CFC-BAP ne l’apprenne assez tôt.

Ce mois est en revanche marqué par la publication dans Le Monde d’une tribune de Denis Kessler, président du club, qui fait appel à l’héritage de la Résistance : « Qu’est ce que Le Siècle ? Il est né en septembre 1944 à l’initiative d’un groupe de jeunes qui s’étaient connus durant l’Occupation et qui avaient été profondément marqués par la faillite des institutions et des élites qui avait abouti à la défaite et à l’occupation du pays.

La paix revenue, ils voulaient poursuivre leurs réflexions sur la rénovation des institutions et la reconstruction du pays. […] Puisse Le Siècle perdurer et poursuivre sa mission dans la sérénité : c’est un enjeu démocratique… celui-là même qui a justifié sa création historique. »

Important dispositif policier

Un beau plaidoyer, de la part de celui qui déclarait pourtant trois ans plus tôt : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. […] Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie […]. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » [2].

Nouvelle manifestation en janvier. À l’occasion du passage de relais à la tête du Siècle entre un ex-numéro 2 du Medef – Denis Kessler – et une ex-dirigeante syndicale – Nicole Notat [3] – le mot d’ordre a changé : « Lutte des classes : reprenons l’offensive ! », proclame le CFC-BAP, qui entend ainsi fêter les 100 ans du Code du travail et dénoncer, outre cette symbolique collaboration de classe, la présence d’un syndicaliste au sein du Siècle, Jean-Christophe Le Duigoun [4], un des principaux dirigeants de la CGT aux côtés de Bernard Thibaut. Des prises de paroles sont prévues, notamment d’Hervé Kempf [5], en plus du désormais traditionnel lancer de « pavés dans l’assiette dorée ».

Le préfet aussi est membre du Siècle

Peine perdue : cette fois-ci, pas un calicot n’a pu être déployé, pas un slogan crié. Alors que le rendez-vous était fixé à 19h30, dès 19 heures, un important dispositif policier était en place, multipliant les contrôles et les fouilles à la sortie du métro, mais aussi tout le long de la ligne 8 qui mène à Concorde. A 20 heures, tout était fini, et les soixante-dix personnes présentes embarquées sans avoir pu le moins du monde manifester.

Ironie du sort : on apprend dans les heures qui suivent que le responsable de cette répression, le préfet de police de Paris Michel Gaudin, est aussi membre du Siècle ! « Plusieurs centaines d’agents auront ainsi été mobilisés pour protéger aux frais des contribuables les agapes du Siècle, dont ne bénéficient pourtant que des gens relativement fortunés voire très fortunés, et qui à ce titre sont aussi ceux qui payent le moins d’impôts », dénonce le CFC-BAP dans un communiqué intitulé « Dîner du Siècle : le préfet de police défend efficacement son club ».

Face à cette répression, difficile de continuer sous cette forme. Le collectif envisage donc d’autres types d’action, mais, fidèle à sa devise, « Nous ne vous oublierons jamais », n’entend pas lâcher le morceau. Un concert de « soutien au Siècle » à la Miroiterie à Paris le 18 février, à l’affluence record, a déjà permis de récolter l’équivalent du prix de six repas à l’ACF… qui seront bien sûr réinvestis dans des actions de bienfaisance envers nos élites…

Ornella Guyet et Sébastien Marchal (AL Paris Nord-Est)

[1« Aux dîners du Siècle, l’élite du pouvoir se restaure », par François Denord, Paul Lagneau-Ymonet et Sylvain Thine, Le Monde diplomatique, février 2011

[2Éditorial de Challenges, octobre 2007

[3Secrétaire générale de la CFDT de 1992 à 2002, elle a ensuite créé Vigeo, « société européenne d’évaluation des performances sociales et environnementales des entreprises », dont elle est toujours PDG. Cette entreprise de « notation éthique » a la particularité d’avoir dans son conseil d’administration plusieurs sociétés… auxquelles elle distribue ses bonnes notes !

[4Lire « Le visage du recentrage : Jean-Christophe Le Duigou », Fakir n° 42, octobre 2009.

[5Auteur de L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie, Le Seuil, janvier 2011, 14 €

 
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